Le Devoir

État de pillage

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Il est navrant, l’état dans lequel se trouve aujourd’hui la jeune démocratie sud-africaine. À peu près évanoui, l’espoir de justice sociale porté par feu Nelson Mandela quand il est devenu président en 1994. Bientôt 25 ans plus tard, et l’apartheid n’a jamais été vraiment démantelé. Miné par la corruption, le Congrès national africain (ANC) n’est pas loin d’avoir dilapidé l’immense avantage politique dont il a longtemps disposé à titre de fer de lance du mouvement de libération. Au pouvoir depuis 2007, le président Jacob Zuma a survécu en août dernier à une neuvième motion de défiance au Parlement, encore que cette fois-ci de justesse. Empêtré dans les scandales de corruption à répétition, comme du reste bon nombre de ses ministres, M. Zuma est un président qui aura laissé l’État et le pouvoir politique se faire avaler par des intérêts privés — à commencer par ceux de l’omnipotent­e coterie des Gupta, richissime famille d’origine indienne. Il a semé la consternat­ion, par une nuit du mois de mars dernier, en limogeant son ministre des Finances, Pravin Gordhan, un homme respecté pour son intégrité et sa conscience sociale. Encore une fois, écrivait le quotidien The Citizen : «Jacob Zuma, qui vient là de montrer son tempéramen­t clanique, navigue de crise en crise en riant.» Lire: en se riant complèteme­nt des institutio­ns et du sort de ses compatriot­es.

Cet apartheid-là — celui entretenu par une élite politique noire qui contrôle les circuits économique­s à de strictes fins d’auto-enrichisse­ment, au détriment de la majorité de la population — est venu se conjuguer à l’autre, historique et racial, celui qui fait que la minorité blanche possède toujours l’essentiel de la richesse nationale parce que Nelson Mandela, par souci de stabilité, a refusé de la détrôner. Résultat: une libération qui n’a pas tenu ses promesses. Un pays où les dessous de table et les relations politiques sont des clés indispensa­bles. Signe grave d’avilisseme­nt de la vie démocratiq­ue, cette dégradatio­n donne lieu à une vague d’assassinat­s politiques à l’intérieur même de l’ANC.

La crise financière de 2008 a eu, cela dit, un effet dévastateu­r. De 1998 à 2008, la classe moyenne noire avait doublé. Le gouverneme­nt a construit des millions de maisons, amélioré l’accès à l’eau potable et à l’électricit­é. La crise a effacé la moitié des deux millions d’emplois créés pendant les quatre années précédente­s. Le taux de chômage officiel frôle aujourd’hui les 28%. L’Afrique du Sud n’est plus le moteur qu’il était du continent.

C’est sur cette base que le par ti se choisira un nouveau chef le mois prochain en vue des élections de 2019. M. Zuma ne peut pas se représente­r, comme la Constituti­on ne le permet pas. Mais comment donc empêcher que son héritage lui sur vive ?

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GUY TAILLEFER

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