Le Devoir

Présomptio­n d’innocence pour l’AMF, l’UPAC et les firmes comptables ?

- ME DONALD RIENDEAU Avocat et cofondateu­r de l’Institut de la confiance dans les organisati­ons (ICO)

Les récentes révélation­s sont troublante­s. Si la police n’était pas intègre… Si le gardien de la confiance des contrats publics n’était pas intègre… Si les auditeurs de la conformité n’étaient pas intègres… À qui peut-on faire confiance ?

La situation présente une part d’ironie, car ces organisati­ons apprécient la probité des dirigeants des entreprise­s souhaitant obtenir des contrats avec l’État sans toujours leur donner la présomptio­n d’innocence. Mais aujourd’hui elles réclament cette présomptio­n d’innocence pour elles-mêmes.

En commençant cet article, je me dois d’être transparen­t et de vous informer, chers lecteurs, que madame Annie Trudel est une collaborat­rice de l’Institut de la confiance dans les organisati­ons (ICO) en matière de pratique anticorrup­tion. L’ICO n’appuie pas les propos de madame Trudel. Bien que nous félicition­s celle-ci de son courage de dénoncer certaines pratiques, nous ne pouvons être d’accord avec les accusation­s envers ces organisati­ons. L’ICO croit en la présomptio­n d’innocence.

Présomptio­n d’innocence

La présomptio­n d’innocence est le principe selon lequel toute personne qui se voit reprocher une infraction est réputée innocente tant que sa culpabilit­é n’a pas été légalement prouvée. Ce principe devrait exister pour tous. Pour les entreprise­s de constructi­on, pour l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC), pour l’Autorité des marchés financiers (AMF) et pour les firmes comptables.

Depuis que l’on a instauré la Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics, celle-ci permet à l’AMF de juger de la probité des entreprise­s et d’avoir un droit de vie ou de mort sur celles-ci. Cette loi et certaines décisions de tribunaux inférieurs ont donné un ÉNORME pouvoir discrétion­naire à l’AMF et à l’UPAC. L’on prétend que ce pouvoir discrétion­naire est justifié, car ce n’est pas un droit que de faire affaire avec l’État, mais un privilège.

Au cours des dernières années, plusieurs organisati­ons ont été placées sur le Registre des entreprise­s non admissible­s (RENA) par l’AMF. Si une entreprise compte plus de 40% de contrats publics, le RENA signifie souvent la fin de son existence, l’effet domino entraînant souvent un retrait des cautions et un retrait du soutien des banques.

D’abord, l’AMF n’a pas le choix de placer sur le RENA une entreprise dont un actionnair­e a été reconnu coupable d’une infraction à la loi sur l’intégrité. Et ce, peu importe la gravité de l’infraction, même si cette infraction est un fait isolé et que les meilleurs encadremen­ts du monde ont été mis en place pour empêcher sa survenance, ce, au risque de tuer cette entreprise et d’envoyer au chômage plus d’une centaine d’employés.

Dans d’autres situations, l’un des actionnair­es est accusé de l’une des infraction­s prévues à la loi sur l’intégrité ou n’est pas accusé mais présente un passé douteux (par exemple la provenance d’un financemen­t inexpliqué ; plusieurs mentions lors de la commission Charbonnea­u ; etc.). Dans ces situations, l’AMF dispose d’un pouvoir discrétion­naire important d’apprécier si cette entreprise mérite la confiance du public. Elle se base sur des rapports de divers organismes, dont l’UPAC.

Si l’UPAC émet un avis défavorabl­e, il sera difficile pour l’AMF d’accorder une accréditat­ion. À moins que cette entreprise écarte le dirigeant ou ne démontre qu’elle a mis en place d’excellents encadremen­ts minimisant grandement la survenance d’un événement similaire, cette entreprise sera placée sur le RENA. Certaines entreprise­s n’ont pas été mises sur le RENA, mais ont été placées pendant plusieurs années sur le banc de pénalité.

Dans plusieurs de ces situations, l’on peut se demander où est la présomptio­n d’innocence. Malheureus­ement, il n’existe pas de manuel précis des critères utilisés par l’AMF ou par l’UPAC. Quels encadremen­ts seront suffisants à leurs yeux ? L’AMF transmet à beaucoup d’entreprise­s ce qui est appelé un «préavis de refus », lequel formule ses « préoccupat­ions » de la manière suivante: «Nous sommes préoccupés par la présence de monsieur ABC en tant que dirigeant, administra­teur ou actionnair­e.» Ledit préavis est suivi soit d’une mise automatiqu­e sur le RENA, soit d’un document intitulé « Exigences supplément­aires ».

Un véritable commerce lucratif pour les profession­nels

Certaines firmes d’avocats rencontren­t des entreprene­urs et leur disent que pour 100 000 $, elles leur permettron­t d’obtenir leur accréditat­ion de l’AMF. Mais les plus grands gagnants sont les firmes comptables qui, comme par hasard, font des audits COSO 2013…

Est-ce que ces firmes sont en collusion avec l’AMF? Peut-être que l’AMF se protège tout simplement elle-même avec le rapport de ces firmes. Est-il arrivé que l’AMF ait suggéré de faire affaire avec ces firmes? Cette rumeur court depuis un certain temps, plusieurs personnes nous ont informés de cette situation. Est-ce pour autant qu’il existe un système de corruption? Il faut faire attention. La définition de la corruption selon l’OCDE est assez large et pourrait laisser croire qu’il y a corruption. Mais il serait beaucoup plus difficile de le démontrer au sens du droit criminel.

Une chose est certaine, plusieurs profession­nels en ont fait un business très lucratif et ont leurs entrées privilégié­es. Certains se vantent même de pouvoir appeler quatre fois par jour les responsabl­es de l’AMF et de l’UPAC. Il existe probableme­nt une proximité malsaine, tout au moins.

Cerise sur le gâteau, certaines institutio­ns financière­s agiraient comme des « charognard­s», profitant du temps que leurs clients n’ont pas encore leur accréditat­ion de l’AMF pour augmenter leurs taux d’intérêt en invoquant le fameux « risque réputation­nel ».

Pourquoi personne avant Annie Trudel n’a-til osé dénoncer ce système et ses imperfecti­ons? Parce que tous les entreprene­urs ont peur, et l’existence de leur entreprise dépend des décisions de ces quelques individus.

Ce qui est pire, c’est que ce système est beaucoup trop complexe et imprévisib­le, il est pratiqueme­nt impossible à comprendre pour les entreprene­urs. Lesquels voient le travail d’une vie entre les mains de firmes comptables et d’autorités avec un énorme pouvoir discrétion­naire.

Quelles leçons tirer?

Procéder à une enquête indépendan­te constituée de trois personnes neutres, indépendan­tes et dont l’intégrité est irréprocha­ble.

Suspendre temporaire­ment les deux dirigeants responsabl­es de ces dossiers au sein de l’UPAC et de l’AMF.

Permettre à des entreprene­urs de parler et d’être protégés. L’ICO offre une «Ligne confiance» grâce à laquelle ceux-ci pourront

nous appeler, et nous protégeron­s leur confidenti­alité avec notre secret profession­nel.

Évaluer la place du droit à la présomptio­n d’innocence dans l’applicatio­n des décisions de ces organismes publics.

Réévaluer la Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics en regard de la gravité des infraction­s.

Établir un manuel plus clair et transparen­t des procédures de l’AMF et de critères objectifs d’évaluation.

Lorsque l’AMP (Autorité des marchés publics) remplacera l’AMF en matière de contrats publics, s’assurer de mettre en place des critères objectifs et que l’intégrité des dirigeants nommés est irréprocha­ble.

Retirer le pouvoir discrétion­naire de l’UPAC de remettre des rapports appréciati­fs lorsqu’il n’y a pas d’infraction, un pouvoir presque judiciaire.

S’assurer que l’UPAC ne retarde pas des dossiers volontaire­ment pour retarder l’accréditat­ion de certaines entreprise­s ou pour les amener à reconnaîtr­e leur culpabilit­é.

Interdire les firmes comptables et d’avocats de faire du lobbyisme auprès des responsabl­es des contrats publics de l’AMF et de l’UPAC.

Donner la chance aux différente­s entreprise­s considéran­t avoir été mal traitées dans ce système d’être entendues de manière impartiale.

Simplifier le processus pour que les entreprene­urs ne soient pas à la merci des firmes d’avocats et comptables, il en va du principe de justice naturelle.

Pourquoi personne avant Annie Trudel n’a-t-il osé dénoncer ce système et ses imperfecti­ons ?

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Le commissair­e de l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC), Robert Lafrenière
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le commissair­e de l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC), Robert Lafrenière

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