Quand l’art s’invite en campagne électorale
Le Musée d’art contemporain des Laurentides souhaite élargir son rôle dans l’espace social
Un musée doit-il s’en tenir à monter des expositions? Non, croit-on à Saint-Jérôme. Le Musée d’art contemporain des Laurentides (MACL) défend l’idée qu’un établissement de son envergure puisse jouer un rôle en dehors de la sphère culturelle.
Espace ouvert, agora publique et même plateforme en période électorale: le MACL, jadis Centre d’exposition du Vieux-Palais, se cherche encore. Et son directeur, Jonathan Demers, croit qu’il n’y a pas meilleur moment pour le faire. Celui qui travaille sur un projet d’immobilisation, et souhaite quitter enfin le bâtiment qu’il partage avec une maison de la culture, se voit comme un acteur politique.
Jonathan Demers s’est immiscé dans les élections municipales en cours — et le fera dans les campagnes à venir, provinciale (2018) et fédérale (2019). Cette succession inédite, une première maintenant que les scrutins sont à date fixe, au MACL, on appelle ça une «trilogie électorale».
Pour inclure la culture, sujet souvent mis de côté, Jonathan Demers a voulu réunir, sans réussir, les aspirants maires de la région. Le thème imposé était vaste et… futuriste: faire un bilan du mandat 2018-2021.
«La plupart [des candidats] n’ont même pas répondu. Ni confirmé ni infirmé. Le contexte avait une part d’indéterminé, oui, mais je trouve intéressant de proposer un espace ouvert. C’était comme un jeu pour faire circuler des idées », dit celui qui dirige le musée laurentien depuis 2014.
Jeu trop risqué, peu sérieux, ou hors propos électoral? Jonathan Demers ne connaît pas les raisons de cet échec. S’il demeure un brin surpris, car il croit entretenir de bons rapports avec les élus, il voit dans leur silence un aspect «constructif».
«La non-réponse alimente nos réflexions. Les espaces publics existent-ils encore? Peuton faire circuler les idées alors que les choses ne sont pas structurées?» se demande sérieusement cet esprit libre.
Jonathan Demers ne perd pas espoir. Pour les prochains scrutins, il agira autrement, sachant désormais que l’encadrement politique d’une campagne électorale est si « prédessiné, prédéfini et préétabli ».
Un espace social
Dans la vision du MACL, Trilogie électorale se décline en une série d’expositions, d’échanges oratoires, de performances, d’événements littéraires. Chaque pan du projet triennal prend place pendant les 36 jours de la joute démocratique.
La version 2017 a un noyau central, l’exposition Une place idéale d’Alexandre David. Ce travail, tout en bois et à cheval entre la sculpture minimaliste et l’architecture, est emblématique du projet ouvert et modulable rêvé au MACL.
« L’oeuvre redéfinit l’espace du musée, cet espace qu’on essaie de faire glisser vers un autre mode d’usage. Chez Alexandre David, la notion d’usage est extrêmement importante», rappelle le directeur Demers.
Contexte électoral ou non, Une place idéale évoque la participation à un espace social. Avec ses courbes, ses dénivellations et son espace clos, la plateforme de David appelle la prise de position.
«Elle n’est pas juste un support, insiste Jonathan Demers, elle influence les comportements. On peut y monter ou pas, on peut la regarder comme un objet ou s’y introduire. Elle active le débat. »
Les politiciens ont préféré rester en dehors de l’estrade ambiguë. D’autres ont pris le relais, tel un prof de journalisme qui s’y est présenté pour donner un cours sur les réseaux sociaux et l’espace public.
Métaphore muséale
La première de Trilogie électorale a été développée en collaboration avec l’Université du Québec en Outaouais (UQO), qui possède un pavillon à Saint-Jérôme. D’abord tenue à la Galerie UQO, à Gatineau, une journée d’activités sera reprise au MACL samedi, veille des élections. Plusieurs collectifs politisés, comme Journée sans culture ou Action indirecte, y participent. Au menu: une partie de… ping-pong.
Des pongistes du club LY Table Tennis Academy reçoivent de nouvelles règles de jeu, orientées sur la collaboration et la longévité de l’échange. Le rythme est ralenti et l’esprit de compétition annihilé.
«C’est une métaphore intéressante sur le jeu compétitif, sur les systèmes spéculatifs, sur les composantes d’une vie démocratique, avance Jonathan Demers. Qu’est-ce que ça donne quand on modifie les règles?»
La modification du classique débat électoral a, elle, fait fuir les principaux concernés. Mais le MACL continuera, dit-on, à bousculer les us. Le futur bâtiment, qui reste à dessiner, sera « déployé dans l’espace public ».
«On voit le hall en cuisine communautaire, on ne veut plus des parois entre l’intérieur et l’extérieur. L’idée est que ce soit un musée dé-hiérarchisé, qu’on le traverse dans la ville, où on y va, on y retourne. Il aura un rôle physique important », soutient Jonathan Demers, qui déposera sa demande auprès du ministère de la Culture avant la campagne électorale prévue dans un an.