Les géants du Web vertement semoncés
Les géants d’Internet ont reçu un avertissement mercredi au Congrès: s’ils ne parviennent pas à empêcher la Russie d’exploiter à l’avenir leurs plateformes pour influencer la vie politique américaine, les élus pourraient avoir la main lourde et légiférer.
« C’est à vous d’agir, sinon nous agirons», a lancé lors d’une audition, furieuse, la sénatrice démocrate Dianne Feinstein, qui pourtant représente la Californie et la Silicon Valley.
Pendant trois heures, les directeurs juridiques de Facebook, de Twitter et de Google ont fait face aux membres de la Commission du renseignement du Sénat pour tenter de les persuader qu’ils avaient bien pris la mesure de leurs responsabilités.
Ils ont décrit comment les trolls de l’Internet Research Agency, la société de SaintPétersbourg liée au renseignement russe, avaient dès 2015 créé des milliers de comptes, se faisant passer pour des Américains, dans le but de semer la discorde en postant des articles sur des sujets de société comme l’immigration, le racisme, les brutalités policières, les armes et l’islam — rarement sur Donald Trump ou sur Hillar y Clinton.
Les articles se propageaient de manière virale et par des promotions payantes, accumulant des centaines de milliers d’abonnés crédules. Un faux compte Twitter du Parti républicain du Tennessee avait dix fois plus d’abonnés que le compte officiel, par exemple.
Les trolls étaient audacieux. Ils créaient des événements sur Facebook pour provoquer des incidents.
Un exemple «réussi»: le groupe Heart of Texas, 250 000 abonnés, a créé un événement pour «stopper l’islamisation du Texas» devant le centre islamique de Houston, le 21 mai 2016 à midi. Un autre, United Muslims of America, a parallèlement créé un événement au même endroit, à la même heure, pour… « sauver la connaissance islamique ».
Les deux événements étaient une pure invention russe, mais le jour dit, devant le centre islamique, l’affrontement a bien eu lieu entre manifestants et contre-manifestants, couvert par les médias locaux. L’opération aura coûté 200$ en publicité sur Facebook.
Comme la presse
L’élection a eu lieu il y a près d’un an, mais c’est récemment que l’ampleur de la campagne de désinformation russe a commencé à émerger.
«Nous sonnons l’alarme depuis le début de l’année, mais les dirigeants de vos entreprises nous ont envoyés balader », a accusé le démocrate Mark Warner, en reprochant aux p.-d.g. des sociétés de n’être pas venus en personne.
Dianne Feinstein, dénonçant des réponses « vagues », les a sommés de se réveiller face «à ce qui pourrait être le début d’une cyberguerre».
Car la propagande continue. En septembre dernier, les comptes russes ont tweeté des deux côtés de la polémique sur les joueurs de football américains qui s’agenouillent pendant l’hymne pour protester contre les violences policières.
Les démocrates ont déposé une proposition de loi qui soumettrait les sites aux mêmes réglementations strictes que les télévisions concernant les publicités politiques.
Un républicain a demandé pourquoi les réseaux sociaux ne seraient pas réglementés comme la presse.
Les sites affirment que, par des algorithmes, de l’intelligence artificielle, et des renforts humains, ils repéraient déjà mieux les faux comptes et les acteurs mal intentionnés. Plutôt que de nouvelles réglementations, ils indiquent que le remède le plus efficace sera la transparence sur les publicités et contenus commandités, surtout s’ils sont de nature politique ; ils seront bientôt catalogués publiquement sur Twitter et Google, avec des informations sur les payeurs.
Et ils ont promis de faire mieux pour refuser les publicités politiques étrangères, interdites par la loi américaine.
Des républicains ont souligné que les contenus russes, proportionnellement, représentaient une portion minime de tout ce que voient les Américains sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, les Russes ont dépensé moins de 50 000 $ avant l’élection, contre… 81 millions pour Hillary Clinton et Donald Trump, selon Colin Stretch, de Facebook.