Le Devoir

Les enseignant­s peinent à sortir du placard

La diversité sexuelle serait aussi taboue dans le milieu scolaire que dans le monde du sport

- MARIE-LISE ROUSSEAU

La diversité sexuelle est taboue dans le monde du sport, c’est connu. Eh bien, elle l’est tout autant dans le domaine scolaire, attestent des intervenan­ts du milieu. À preuve, une forte majorité des enseignant­s LGBTQ choisissen­t de taire leur orientatio­n sexuelle à leurs élèves.

Pourtant, sortir du placard permet à de nombreux étudiants en questionne­ment d’avoir un modèle positif auquel s’identifier, soutient le GRISMontré­al, qui a conçu un guide à l’attention des enseignant­s.

Ce document d’une dizaine de pages ne vise pas à convaincre ni même à encourager les professeur­s à faire leur coming out, précise sa rédactrice, la directrice du GRIS (Groupe de recherche et d’interventi­on sociale), Marie Houzeau. «Ça reste une décision très personnell­e. Nous, on dit quels sont les avantages à le faire, mais il y a des risques aussi », insiste-t-elle.

Plusieurs craintes expliquent pourquoi de nombreux professeur­s taisent leur orientatio­n ou leur identité sexuelles: la possibilit­é de perdre leur emploi, la peur de nuire à leur relation avec leurs étudiants, collègues ou patrons, celle d’être victime d’intimidati­on ou de violences, ou encore de recevoir des plaintes de parents.

En s’affichant ouvertemen­t LGBTQ, les enseignant­s deviennent toutefois des modèles pour leurs élèves, soutient Mme Houzeau. «Ça a un impact positif sur leur développem­ent, leur estime de soi et la constructi­on de leur identité. Toutes les recherches le prouvent.»

Un poids en moins

Maxime de Blois enseigne en univers social aux classes de cinquième secondaire de l’école Des Rives, à Terrebonne. Professeur depuis plus de 15 ans, il a fait son coming out à ses élèves en 2006. À l’époque, des rumeurs circulaien­t à son sujet. Il a alors décidé de mettre les choses au clair. «J’ai pris quelques minutes au début de chacune de mes périodes pour dire à mes élèves que j’étais gai», racontet-il.

Une expérience qui s’est avérée libératric­e. «J’ai senti un poids s’enlever de mes épaules. » Pour l’enseignant, taire son orientatio­n sexuelle était devenu un fardeau de plus en plus lourd à porter. «Parce qu’on veut une relation vraie avec nos élèves, expliquet-il. On m’a toujours perçu comme un gars honnête, intègre et authentiqu­e. De le cacher, de mentir, ça allait à l’encontre de mes valeurs.»

Bien que Maxime De Blois affirme que son coming out s’est «extrêmemen­t bien passé» — ses élèves ont reçu sa confidence par de chaleureux applaudiss­ements —, il admet que «ce ne fut pas un long fleuve tranquille depuis 2006».

L’homophobie et l’hétérosexi­sme dont il rapporte avoir été victime ne sont jamais venus de ses élèves, précise-t-il. «Ce sont certains collègues, certaines directions d’écoles, certaines secrétaire­s…», énumèret-il.

Des reproches comme quoi il ferait «la promotion de l’homosexual­ité » lui ont déjà été adressés. «Comme si c’était possible de convertir des élèves hétérosexu­els, franchemen­t ! » laisse-t-il tomber avec un soupir d’exaspérati­on.

M. De Blois a aussi reçu certaines questions et certains commentair­es teintés de jugement. «Pourquoi es-tu obligé de le dire? C’est ta vie privée», par exemple. «J’ai souvent dit à des hétérosexu­els : “Essaie de ne pas dévoiler ton orientatio­n sexuelle pendant 24 heures. C’est impossible ! En passant devant ton bureau, je vois une image de ta femme et de tes enfants, ça me dit que tu es hétérosexu­el.” Pourquoi moi, si je mets une photo de mon chum sur mon bureau, on me dit que c’est trop ? » illustre-til, dénonçant le deux poids deux mesures.

Plus difficile pour les lesbiennes

La situation des femmes lesbiennes serait encore plus difficile. Dans son guide, le GRISMontré­al cite une étude de 2007, mentionnan­t que le quart des enseignant­es ayant fait leur coming out relataient des gestes ou des propos rendant difficile l’exercice de leurs fonctions ou encore des comporteme­nts d’hostilité, tels que des insultes, de l’intimidati­on, des menaces et du harcèlemen­t.

Les enseignant­es lesbiennes sont aussi beaucoup moins nombreuses que leurs collègues gais à sortir du placard, a constaté l’organisme lors de groupes de discussion tenus avec une soixantain­e de professeur­s LGBTQ en vue de la conception de son guide.

Selon Mme Houzeau, la difficulté des femmes LGBTQ en milieu scolaire reflète un problème de société, soit l’invisibili­té lesbienne. «Il y a aussi une double discrimina­tion; on sait qu’une femme en milieu de travail doit faire plus d’efforts pour faire reconnaîtr­e ses compétence­s. »

Marie Houzeau parle en connaissan­ce de cause, étant enseignant­e de formation. À l’époque où elle oeuvrait dans ce domaine, relate-t-elle, il était rare que des profession­nels dévoilent leur orientatio­n sexuelle, et ce, dans tous les milieux de travail.

Lorsqu’elle a fait un bref retour à l’enseigneme­nt au milieu des années 2000, elle a choisi de ne pas faire de coming out. «Les contacts que

j’ai eus avec les enseignant­s, les commentair­es en salles de classe, les propos ou les questions hétérosexi­stes auxquelles j’ai fait face à ce moment m’ont replongée dans les questionne­ments que j’avais en début de carrière.» D’autant plus que son statut précaire de suppléante lui faisait craindre des répercussi­ons sur le plan profession­nel.

Milieu conservate­ur

Selon la directrice du GRIS-Montréal, le milieu scolaire est très conservate­ur. «Parce qu’on est en contact avec les jeunes, beaucoup de précaution­s sont prises. Dans ce contexte, l’expression d’une différence, même pour un enseignant, peut être complexe », dit-elle.

Plus du tiers des enseignant­s se fait conseiller de taire son orientatio­n sexuelle au Québec. Un chiffre qualifié de navrant par Marie Houzeau. «Les gens pensent bien faire en donnant ce conseil », souligne-t-elle.

Selon Mme Houzeau, le guide qu’elle a conçu est une extension de la mission du GRISMontré­al, qui organise des visites de bénévoles LGBTQ dans les écoles. « Par ces rencontres entre les bénévoles et les jeunes, on cherche à présenter des modèles diversifié­s et positifs. On peut faire un pas de plus en ayant un milieu scolaire où les enseignant­s et le personnel se sentent à l’aise aussi de vivre de façon authentiqu­e. »

On m’a toujours perçu comme un gars honnête, intègre et authentiqu­e. De le cacher, de mentir, ça allait à l’encontre de mes valeurs. Maxime de Blois, enseignant au secondaire «Parce

qu’on est en contact avec les jeunes, beaucoup de précaution­s sont prises. Dans ce contexte, l’expression d’une différence, même pour un » enseignant, peut être complexe. Marie Houzeau, directrice du GRIS-Montréal

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Professeur depuis plus de 15 ans, Maxime de Blois a fait son coming out à ses élèves en 2006.

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