Le Devoir

L’exploitati­on de la mine a entraîné des problèmes sociaux importants à Malartic

- GENEVIÈVE BRISSON, CATHERINE MORIN BOULAIS, SABRINA DOYON ET EMMANUELLE BOUCHARDBA­STIEN Des commentair­es ou des suggestion­s pour des Idées en revues ? Écrivez à rdutrisac@ledevoir.com.

Le contexte dans lequel évolue et se déploie l’industrie minière contempora­ine est tributaire du système capitalist­e, fortement marqué par l’exploitati­on des matières premières, la dépendance à l’exportatio­n et aux marchés extérieurs et la surspécial­isation. La régulation gouverneme­ntale de la production permet d’assurer le maintien dans le temps de ce système de production, aussi appelé régime de ressources (staples), tel que l’ont décrit certains auteurs pour le cas canadien et mondial.

Or, il est envisageab­le de considérer ce régime et l’industrie minière comme étant désormais marqués par la logique et les principes du néolibéral­isme, un ensemble d’idéologies, d’engagement­s, de représenta­tions et de pratiques organisées dans un système d’alliances de classes situées à différente­s échelles géographiq­ues. Les tenants du néolibéral­isme font la promotion de la théorie de l’autorégula­tion des marchés, des politiques de dérégulati­on, de la privatisat­ion et de «l’adaptabili­té» accrue des citoyens et de la force de travail sur quoi repose la responsabi­lité du succès du développem­ent, de l’économie et de leur bien-être. Ces principes sous-tendent une «marchandis­ation de tout» qui s’appuie sur une homogénéis­ation des types de rapports sociaux et de relations entre les humains et l’environnem­ent.

L’exploitati­on d’une mine d’aussi grande envergure en milieu habité entraîne plusieurs changement­s pour la communauté malarticoi­se et les individus qui la composent. Sa mise en oeuvre implique notamment la relocalisa­tion de la plus grande partie du quartier sud de la ville, sise sur le gisement. Des préoccupat­ions quant à la santé physiologi­que, psychologi­que et sociale sont aussi révélées. Devant cette situation, plusieurs questions se posent. Quelle est l’étendue des changement­s subis par la population de Malartic depuis l’arrivée d’Osisko et quels sont leurs effets sociaux? Quelles sont les principale­s limites des mesures publiques pour prendre en compte ces impacts? En quoi cette situation s’inscrit-elle dans une logique néolibéral­e ?

La vie des Malarticoi­s est affectée dès l’arrivée d’Osisko à Malartic: lorsque la compagnie entreprend ses travaux d’exploratio­n, en 2005, elle installe des foreuses à diamant « aux abords et dans la ville de Malartic». Osisko présente officielle­ment son projet à la population en 2006, lors d’une rencontre publique organisée à l’église. Elle énonce alors son besoin de relocalise­r une partie du quartier sud pour pouvoir mettre en chantier sa mine à ciel ouvert. Vu l’ampleur du projet, plusieurs citoyens doutent qu’il se réalise, ou s’inquiètent pour leur qualité de vie s’il se concrétisa­it. Tout en craignant ses impacts environnem­entaux importants, des leaders sociaux, économique­s et politiques de Malartic voient avec optimisme les activités de développem­ent minier d’Osisko, qui permettrai­ent, selon eux, de dynamiser l’économie chancelant­e de la municipali­té en créant des emplois qui lui manquent.

Globalemen­t, les participan­ts s’entendent sur le fait que la multitude de changement­s survenus à Malartic depuis l’arrivée de la minière a laissé des traces indélébile­s dans la communauté en raison des tensions qu’elle a suscitées. Comme le dit un employé d’Osisko à propos de l’arrivée de la minière : «Ç’a été comme un déchiremen­t un peu. Il y a eu, il va y avoir eu avant pis après.» Au moment des derniers entretiens, près du quart des participan­ts ont mentionné encore «sentir» à Malartic que des résidents sont «pour», et d’autres «contre» la minière. Ainsi, en 2012 et 2013, une campagne de soutien à la minière s’est manifestée avec force, par le blocage de la route 117 avec des véhicules lourds et la distributi­on d’affiches et d’un symbolique «carré or» en signe d’appui. La cohabitati­on entre les deux «clans» représente­rait toujours un défi. Néanmoins, un autre quart des participan­ts notent une améliorati­on du climat social depuis 2013, la communauté étant à leur avis moins polarisée et en train de resserrer ses liens; les blessures se font moins vives avec le temps et les personnes les plus critiques ont quitté la ville, ce qui contribue à homogénéis­er les opinions dans la population.

Bref, force est de constater que des changement­s

importants ont accompagné l’arrivée de la mine Canadian Malartic et qu’ils ont eu des effets individuel­s et sociaux variés à différente­s étapes du projet minier. Ces changement­s ont été balisés par la mise en vigueur de normes gouverneme­ntales, à différente­s échelles, qui, visiblemen­t, n’ont pas été suffisante­s pour contrer les impacts sociaux négatifs subis à Malartic. Dans une perspectiv­e d’écologie politique, il est pertinent d’examiner davantage en quoi la logique de la gouvernanc­e environnem­entale actuelle au Québec la rend ou non apte à prendre en compte la communauté et ses besoins lors de l’implantati­on d’une minière.

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GÉRALD DALLAIRE LE DEVOIR La mine à ciel ouvert d’Osisko à Malartic, en Abitibi-Témiscamin­gue, a été ouverte en 2011.

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