Le Devoir

Le Canada du XXIe siècle

- KONRAD YAKABUSKI

Ce n’est pas au Québec que l’opposition à une hausse des seuils d’immigratio­n est la plus élevée au Canada. En fait, une majorité de Québécois trouve que l’on accueille le bon nombre de nouveaux arrivants chaque année, ou alors qu’on n’en accueille pas assez. La proportion de Québécois qui pensent que l’on reçoit trop d’immigrants (soit 37%) est la même qu’en Ontario, alors qu’elle est de 45% en Alberta et de 54% au Manitoba et en Saskatchew­an.

Ces données, qui sortent d’un sondage Internet de Léger Marketing préparé en mars dernier pour l’Associatio­n d’études canadienne­s, et qui portent une marge d’erreur de 2,9% 19 fois sur 20, pourraient surprendre tous ceux dans le reste du Canada qui pensent que les Québécois sont plus hostiles à l’immigratio­n que les autres Canadiens. La réalité est tout autre.

C’est pourquoi l’annonce du ministre fédéral de l’Immigratio­n, Ahmed Hussen, que le Canada accueiller­a 340 000 nouveaux arrivants en 2020, soit une hausse de 13 % par rapport à 2017 et de presque 25% par rapport à 2014, a suscité plus de réactions dans l’Ouest canadien qu’au Québec. Après tout, c’est dans l’Ouest que la nouvelle politique de l’immigratio­n aura le plus de répercussi­ons. C’est normal que tout le monde en parle.

Si le Québec, qui établit ses propres seuils d’immigratio­n, n’augmente pas ses cibles en tandem avec Ottawa, le reste du Canada accueiller­a inévitable­ment plus d’immigrants qu’autrement. La région métropolit­aine de Toronto, où presque la moitié des résidants sont nés à l’étranger et où 51% des gens s’identifien­t comme faisant partie d’une minorité visible, solidifier­a sa réputation en tant que ville la plus multicultu­relle du monde. L’Alberta, qui reçoit déjà presque autant d’immigrants chaque année que le Québec malgré une population deux fois plus petite, recevra alors beaucoup plus de nouveaux arrivants annuelleme­nt que la Belle Province. Calgary, où la proportion de la population née à l’étranger est déjà plus élevée qu’à Montréal, deviendra encore plus multicultu­relle, voire cosmopolit­e, que la métropole québécoise. Le poids du Québec au sein de la population canadienne diminuera encore plus rapidement qu’il ne le fait actuelleme­nt. Et le poids politique du pays se déplacera encore plus rapidement vers l’Ouest. Voilà où s’en va le Canada du XXIe siècle.

Certains y verront une tentative du gouverneme­nt libéral de Justin Trudeau de marginalis­er la nation québécoise et d’imposer sa vision d’un Canada «postnation­al» d’un océan à l’autre. Sans aller aussi loin que cela, il faut admettre que les répercussi­ons de cette nouvelle politique d’immigratio­n sur le Québec ne faisaient pas partie des premières considérat­ions du gouverneme­nt Trudeau. Ce dernier a plutôt été guidé dans ses choix par les leaders économique­s, qui réclamaien­t une hausse encore plus importante des seuils d’immigratio­n, et sa propre base politique, pour qui la diversité est devenue la marque de commerce du Canada.

Face à un nouveau chef néodémocra­te, Jagmeet Singh, issu de la communauté sikhe et fils d’immigrants, les libéraux chercherai­ent à préserver leur dominance politique au sein des grandes villes et des banlieues multicultu­relles de Toronto et de Vancouver.

Au lieu d’exprimer des réserves sur l’augmentati­on du nombre d’immigrants, la critique néodémocra­te en matière d’immigratio­n, Jenny Kwan, aurait souhaité que le Canada mette plus l’accent sur les travailleu­rs non qualifiés par rapport aux travailleu­rs qualifiés. Elle a fait remarquer que les entreprise­s ont trop recours au Programme des travailleu­rs étrangers temporaire­s pour pourvoir les emplois peu payants que les Canadiens et les immigrants plus qualifiés ne veulent pas accepter.

La position du Nouveau Parti démocrate sert à contredire la thèse selon laquelle l’immigratio­n nuit aux travailleu­rs à bas revenus en faisant une pression à la baisse sur les salaires. En fait, le taux de chômage plus élevé chez les immigrants récents tiendrait plus au fait qu’ils sont surqualifi­és pour les emplois disponible­s ou qu’ils font l’objet de discrimina­tion de la part des employeurs.

Et c’est au Québec que le problème est le plus grave. Le taux de chômage parmi les immigrants reçus pendant les cinq dernières années s’y établit à 16,7%, selon Statistiqu­e Canada, alors que la province dans son ensemble frôle le plein-emploi, avec un taux de chômage de 6,1%. En Ontario, l’écart entre les immigrants récents et l’ensemble des travailleu­rs en ce qui concerne le taux de chômage n’est que de 3,2 %, soit 9,1 % contre 5,9 %.

C’est ainsi que M. Hussen a pu livrer son discours annonçant ses nouvelles cibles d’immigratio­n sans une fois prononcer le mot «Québec». Il a plutôt mis l’accent sur les bénéfices économique­s de l’immigratio­n alors que la population canadienne vieillit et sur l’ouverture des Canadiens à la diversité, en disant : «Il y a de plus en plus de pays qui ferment leurs portes aux gens, ils ferment leurs portes aux talents, aux compétence­s […] Nous avons résolument et sans réserve adopté l’approche contraire.»

Les libéraux misent sur l’immigratio­n pour renforcer leur base électorale

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