Le Devoir

Les couteaux du prince

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Voici que, porté par les encouragem­ents appuyés de Donald Trump, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman aiguise ses couteaux. Ce qui n’augure rien qui vaille. Le jeune homme de 32 ans, surnommé MBS, fils du vieux roi Salman mais déjà considéré comme roi de facto, pose des gestes qui préfiguren­t tout à la fois un renforceme­nt de son pouvoir, sous couvert d’esprit réformiste, et une escalade du conflit avec Téhéran.

Les événements de samedi dernier en font foi: démission en début d’après-midi du premier ministre libanais Saad Hariri, protégé de Riyad, suivie en soirée, dans le cadre d’une soi-disant «opération anticorrup­tion», de l’arrestatio­n dans les cercles du pouvoir d’une cinquantai­ne de princes, d’anciens ministres et d’hommes d’affaires, dont le multimilli­ardaire Al-Walid ben Talal, homme au franc-parler qui ne porte pas M. Trump dans son coeur et acteur de premier plan du monde financier saoudien.

Si la démission de M. Hariri a pris tout le monde par surprise, les ressorts en sont tout de suite devenus évidents.

En poste depuis décembre 2016, le chef de file du camp sunnite libanais avait conclu avec le Hezbollah, le mouvement chiite pro-Téhéran, un accord de gouverneme­nt qui avait permis à ce petit pays fragile de retrouver une certaine stabilité. Tout cela s’écroule aujourd’hui. Annonçant sa démission depuis Riyad plutôt qu’à Beyrouth, ce qui est parlant, il a dénoncé la «mainmise» de l’Iran sur le Liban — comme s’il s’agissait d’une réalité dont il prenait tout à coup la mesure. Il ne fait aucun doute que sa démission lui a été dictée par ses parrains saoudiens.

Le drame est donc que la décision de soustraire M. Hariri à l’équation politique libanaise annonce un durcisseme­nt de Riyad par rapport au Hezbollah et, sur fond de violences dans la Syrie voisine, le risque que se rallument les feux jamais vraiment éteints de la guerre civile au pays des cèdres. Que, par ricochet, le conflit avec le Yémen se soit immédiatem­ent envenimé samedi soir avec le missile tiré sur Riyad par les milices pro-iraniennes des houthis et la sortie de MBS contre cette «agression directe» de la part de l’Iran montre que la poudrière du Moyen-Orient est devenue depuis quelques jours plus explosive encore. Et que les vendeurs d’armes qui font tourner nos économies vont continuer à faire des affaires d’or.

C’est dans ce contexte que MBS a mené samedi sa purge anticorrup­tion au nom du renforceme­nt de «la confiance dans l’État de droit», a déclaré son ministre des Finances — comme si l’État de droit pouvait exister dans une dictature qui torture ses blogueurs. Son modèle est celui du dictateur éclairé. Entendu que le ménage qu’il fait dans son entourage est avant tout destiné à accroître ses prérogativ­es. La recette est chinoise.

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GUY TAILLEFER

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