Le Devoir

Le rôle de la géographie urbaine

- LOUIS-PIERRE BEAUDRY Étudiant au doctorat en sociologie à l’Université Laval

Les élections municipale­s du 5 novembre 2017 ont été marquées par la victoire de Valérie Plante et de Projet Montréal. Dans la capitale, Régis Labeaume a été réélu avec une écrasante majorité au conseil au terme d’une campagne généraleme­nt terne. Pour expliquer ces victoires, un élément central semble avoir été trop peu abordé: les configurat­ions territoria­le et administra­tive des deux plus grandes villes du Québec.

L’administra­tion de Montréal est marquée par l’insularité de sa ville. Séparées par d’importants cours d’eau (ou par l’auto-exclusion de la défusion), les banlieues montréalai­ses «jouissent» de leur autonomie politique, sans toutefois pouvoir agir sur le développem­ent de la métropole. Autre particular­ité, les arrondisse­ments montréalai­s sont dotés de maires qui détiennent des pouvoirs exclusifs, offrant un «gouverneme­nt de proximité » à leurs résidants.

Valérie Plante a, dans son discours de victoire, souligné le rôle du Plateau-Mont-Royal et de Rosemont–La Petite-Patrie comme porte-étendard du succès des politiques de Projet Montréal. Celles-ci ont été lourdement attaquées par des critiques, surtout extérieure­s, qui y voient une lutte contre l’automobile qui leur rend la ville impraticab­le. Plusieurs opposants ont critiqué la «dictature» de Luc Ferrandez, dont les politiques nuiraient au développem­ent économique du Plateau. Or, il fut réélu dimanche avec 65% des voix, parmi 10 autres maires d’arrondisse­ment de Projet Montréal. Signe évident, s’il en est, que ces politiques plaisent.

Je ne doute pas un instant que l’élection de Projet Montréal fasse trembler de nombreux banlieusar­ds, qui jouissaien­t jusqu’alors des actions métropolit­aines de Denis Coderre, ces grands événements et ces monuments glorieux qui « mettent Montréal sur la map », tout en étant rassurés par le conservati­sme de ses plans d’aménagemen­t. Or, les élections de dimanche nous ont montré plus que jamais que les Montréalai­s sont eux aussi dans leurs bons droits de lutter pour la sécurité de leurs enfants, la qualité de leur air et la diminution du transit automobile dans leur milieu de vie.

Déficit démocratiq­ue

La situation ne pourrait être plus différente à Québec. La fusion municipale de 2001 avait pour objectif de mettre fin à la compétitio­n et au développem­ent chaotique dans la région. Contrairem­ent à Montréal, Québec a, ce faisant, absorbé la majorité de ses banlieues de la rive nord du Saint-Laurent. Les anciennes villes de banlieue forment ainsi aujourd’hui cinq des six arrondisse­ments de la capitale. Cette fusion a eu du bon : stabiliser le développem­ent, encourager la densificat­ion et l’urbanisati­on des banlieues, et faciliter l’expansion et l’améliorati­on du réseau du RTC (quoiqu’encore déficient).

Toutefois, du même coup, le poids relatif des «urbains» de Québec a fondu. La puissance des intérêts des 80% de la population «banlieusar­de » sur les 20 % vivant au centre n’est qu’amplifiée par l’absence de mairie d’arrondisse­ment. Contrairem­ent à Montréal, les présidents d’arrondisse­ment ne possèdent pas de compétence­s exclusives. Les résidants du centre-ville de Québec ne peuvent donc pas compter sur un «Projet Québec» qui prendrait la tête de l’arrondisse­ment La Cité-Limoilou pour défendre ce territoire comme milieu de vie urbain.

On doit reconnaîtr­e que la tâche qui incombe au maire ou à la mairesse de Québec est lourde: s’assurer de la transition vers le XXIe siècle d’une ville de 600 000 personnes construite depuis 1950 autour du rêve automobili­ste, tout en évitant de s’aliéner le vote des banlieusar­ds fortement majoritair­es.

La propositio­n du «tout-à-l’auto» de Québec 21 n’a heureuseme­nt convaincu que 28% d’électeurs. Une part importante de ces votes provient certaineme­nt des électeurs déçus de la transition de Labeaume vers le «nouvel urbanisme»: plantation d’arbres au détriment du stationnem­ent, places éphémères, rues conviviale­s, transport en commun «structuran­t», etc. Il reste maintenant à voir comment ce parti évoluera.

Dans cette lutte à deux, entre un parti à tendance libertarie­nne, climatosce­ptique et négationni­ste de l’étalement urbain, et un parti au pouvoir depuis des années qui promet un plan d’aménagemen­t modéré, il restait peu de place pour Démocratie Québec et ses idées censément plus progressis­tes. C’était d’autant plus le cas que certains électeurs craignaien­t, en les appuyant, de «diviser le vote» en faveur de Québec 21.

Et même si Démocratie Québec avait élu une chef aussi inspirante que Valérie Plante, il y a fort à parier que ses idées sur l’urbanisme auraient été un obstacle à son élection hors du centre, rendant impossible le contrôle du conseil. Car même sans La Cité-Limoilou, l’Équipe Labeaume pourrait être majoritair­e au conseil municipal et continuer de régner sans trop d’opposition.

Dans le système politique actuel, la prise en compte des résidants dans le développem­ent des quartiers centraux de Québec dépendra toujours du bon vouloir d’une équipe élue majoritair­ement par les banlieusar­ds. Ce n’est malheureus­ement pas l’Équipe Labeaume, assoiffée de pouvoir absolu et centralisé, qui ouvrira la porte à une réforme du système politique de Québec pour combler ce déficit démocratiq­ue.

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