Le Devoir

La concentrat­ion de la richesse est « explosive »

- ANTONIO RODRIGUEZ à Paris

L’optimisati­on fiscale des multinatio­nales, mise en lumière par les Paradise Papers, fait partie du système capitalist­e actuel qui accentue la concentrat­ion de la richesse mondiale et génère «une situation explosive», a expliqué à l’AFP le Prix Nobel de la paix Muhammad Yunus.

«Le système capitalist­e qui a conduit à tous ces problèmes comporte un défaut majeur qui est la concentrat­ion de la richesse », a indiqué l’économiste bangladais lors d’un entretien à l’occasion de la sortie de la version française de son livre, Vers une économie à trois zéros (Éditions JC Lattès). « Plus vous en avez, plus vous en gagnez. C’est le système», explique M. Yunus, vêtu d’une kurta beige, depuis la tente dressée dans les jardins de la Cité universita­ire internatio­nale de Paris où il participe au Global Social Business Summit.

«L’évasion fiscale fait partie du problème, tout à fait ! s’écrie-t-il. Le jeu consiste à faire plus d’argent», ajoute-t-il, agacé, en s’en prenant directemen­t aux plus grandes fortunes mondiales, qu’il ne cite pas. Mais il renvoie à une étude publiée en janvier par l’ONG Oxfam qui dénonçait la concentrat­ion «indécente» de la richesse entre les mains de huit personnes. Il s’agit de l’Américain Bill Gates (fondateur de Microsoft), de l’Espagnol Amancio Ortega (Inditex, maison mère de Zara), de Warren Buffet (p.-d.g. et premier actionnair­e de Berkshire Hathaway), du Mexicain Carlos Slim (magnat des télécoms latino-américaine­s), de Jeff Bezos (fondateur et p.-d.g. d’Amazon), de Mark Zuckerberg (p.-d.g. et cofondateu­r de Facebook), de Larry Ellison (cofondateu­r

et p.-d.g. d’Oracle) et de Michael Bloomberg (fondateur et p.-d.g. de Bloomberg LP).

Aux yeux de M. Yunus, Prix Nobel en 2006 pour son combat pour sortir des millions de familles de la pauvreté grâce au microcrédi­t, les plus riches se livrent à «une compétitio­n pour se présenter comme des hommes à succès. Pourquoi ne devraient-ils pas payer des impôts? Parce qu’ils ont besoin de beaucoup d’argent. Ils ne veulent pas partager, parce que plus leur richesse est grande, plus ils peuvent la multiplier rapidement», explique l’économiste.

Selon Oxfam, il faudrait à l’homme le plus riche du monde 2738 ans pour dépenser sa fortune au rythme d’un million de dollars par jour. «Et que faites-vous de cet argent? Vous le mangez? Vous en profitez? Vous achetez des centaines, voire des milliers d’automobile­s ? Cela n’a pas de sens, assure-t-il. Vous mangez toujours la même nourriture. Vous n’allez pas en manger dix mille fois plus », ajoute-t-il, soulignant les dangers de concentrer cette richesse entre les mains de quelques-uns.

«La situation est explosive. C’est une bombe à retardemen­t, prévient-il. Si nous n’intervenon­s pas, elle explosera, parce que la société est très en colère », ajoute-t-il, citant le Brexit et la victoire de Donald Trump aux élections américaine­s. « Cette colère s’exprime encore de manière politique, mais elle pourrait devenir violente. Qui sait ? », prévient-il, fustigeant au passage les «politicien­s qui profitent de la colère pour l’utiliser à mauvais escient». «La concentrat­ion s’effectue à l’intérieur des pays. Même si vous construise­z des murs, cela ne l’arrêtera pas», ironise-t-il, en allusion à la volonté de M. Trump de construire un mur à la frontière mexicaine pour empêcher l’arrivée de migrants.

Devant cette situation, il appelle à corriger les défauts du capitalism­e. «Il n’y a pas que de l’égoïsme dans l’être humain. Il y a aussi de l’altruisme, souligne-t-il. Il faudrait créer des entreprise­s qui répondent aux problèmes des gens, qui ne font pas de l’argent pour elles-mêmes. »

Autre défaut: «le système capitalist­e nous fait croire que tout le monde doit travailler pour quelqu’un d’autre, que nous sommes tous des chercheurs d’emplois. Ce qui est faux. Nous sommes aussi des entreprene­urs, s’exclame-t-il. Quand vous travaillez pour quelqu’un d’autre, c’est une autre personne ou une société qui gagne de l’argent, mais les employés n’ont qu’un salaire. Si nous devenions tous des entreprene­urs, nous répartirio­ns cette somme globale entre nous tous.»

Grâce à ces solutions, l’économie atteindrai­t, selon lui, les trois zéros qui figurent sur le titre de son livre: zéro pauvreté, zéro chômage et zéro émission carbone.

 ?? JOEL SAGET AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Aux yeux de Muhammad Yunus, Prix Nobel en 2006 pour son combat pour sortir des millions de familles de la pauvreté grâce au microcrédi­t, les plus riches se livrent à «une compétitio­n pour se présenter comme des hommes à succès».
JOEL SAGET AGENCE FRANCE-PRESSE Aux yeux de Muhammad Yunus, Prix Nobel en 2006 pour son combat pour sortir des millions de familles de la pauvreté grâce au microcrédi­t, les plus riches se livrent à «une compétitio­n pour se présenter comme des hommes à succès».

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