Le Devoir

Le courtermis­me prépare la prochaine crise

L’impact du « retour des actionnair­es » attise les comporteme­nts spéculatif­s

- GÉRARD BÉRUBÉ

Grande responsabl­e de la crise de 2008, l’industrie financière prépare la prochaine. La même fièvre spéculativ­e est revenue, alimentée par cette obsession du court terme et de la maximisati­on du rendement des actionnair­es.

Gilles L. Bourque ajoute ainsi sa voix à cette dénonciati­on de l’influence du courtermis­me sur les grandes décisions des entreprise­s inscrites en Bourse. Dans une petite fiche technique de deux pages, l’économiste et chercheur de l’Institut de recherche en économie contempora­ine (IREC) évoque cette financiari­sation de l’économie précurseur­e de la crise de 2008-2009 et source d’accroissem­ent des inégalités. Il observe des ressemblan­ces avec la situation actuelle sur les marchés. L’impact du « retour des actionnair­es » dans la gouvernanc­e des entreprise­s inscrites en Bourse explique une grande part des mêmes comporteme­nts spéculatif­s ayant pu prévaloir il y a près de dix ans.

Il cite, ici, les dividendes et les rachats d’actions au détriment d’une détériorat­ion des investisse­ments des entreprise­s. «De quelques milliards de dollars par an dans les années 1980, la valeur des actions rachetées par les sociétés de l’indice S & P 500 aurait atteint des niveaux avoisinant les 600 milliards $US ces deux dernières années», écrit Gilles Bourque, reprenant les calculs d’un professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval.

«Lorsqu’on regarde du côté de l’évolution des dividendes au cours des années récentes, les constats sont aussi éloquents. Entre 2000 et 2015, le montant des revenus de placement dans les entreprise­s canadienne­s (qui correspond­ent à la somme des revenus de dividendes et des revenus d’intérêts) a connu une hausse considérab­le. Cette évolution est marquée de deux périodes de hausse: la première précède la crise financière de 2008 […] La deuxième est en cours, avec une remontée graduelle à partir de 2010, puis une hausse spectacula­ire de 20% en 2015.»

Le chercheur conclut à une forte croissance des revenus de dividendes depuis 2013, combinée à «un décrochage marqué des investisse­ments des entreprise­s ». Et ce n’est pas qu’une affaire américaine. Gilles Bourque cite la lecture faite par l’Institut sur la gouvernanc­e (IGOPP) soulignant qu’une même proportion des entreprise­s composant l’indice français CAC 40, soit 76 %, avait procédé à des rachats d’actions au dernier trimestre de 2015, représenta­nt en moyenne 23% des bénéfices annuels.

Ce diktat de l’immédiat se trouve pérennisé par une politique de rémunérati­on des hauts dirigeants basée sur des indicateur­s incitant à la performanc­e à court terme. On pense à un bénéfice par action cible et à un objectif de rendement total pour l’actionnair­e. Yvan Allaire, président exécutif du conseil de l’IGOPP, donnait en exemple ce choix des dirigeants empruntant la voie facile des rachats d’actions plutôt que de mettre à contributi­on les liquidités de l’entreprise dans des projets d’investisse­ment et de développem­ent à long terme. En jouant sur le dénominate­ur, on alimente une hausse du cours de l’action, ou on compense l’effet de dilution venant de l’exercice d’options provoqué par cette hausse du cours, au détriment d’une performanc­e basée sur la création de valeur à long terme et traduisant une préoccupat­ion sociétale.

« Aux États-Unis, les responsabl­es de la Réserve fédérale s’inquiètent de la trop grande tolérance des investisse­urs à l’égard de la prise de risque et du niveau élevé du prix des actifs, tolérance qui pourrait bientôt être dopée par les perspectiv­es des plans de relance de Donald Trump», ajoute le chercheur de l’IREC.

Ce diktat de l’immédiat se trouve pérennisé par une politique de rémunérati­on des hauts dirigeants basée sur des indicateur­s incitant à la performanc­e à court terme

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