Le Devoir

L’échec de la Commission sur les soins de fin de vie

- ALAIN NAUD Médecin de famille et de soins palliatifs au CHU de Québec

Dans son dernier rapport, la Commission sur les soins de fin de vie (CSFV) statue que 5% (31 cas sur 579) des aides médicales à mourir (AMM) administré­es n’étaient pas conformes aux exigences de la loi. Il aurait été plus exact et rigoureux d’écrire que 5% des cas n’étaient pas conformes à la propre interpréta­tion que fait la CSFV de ces critères. Interpréta­tion qu’elle se garde bien par ailleurs de dévoiler, compte tenu de l’arbitraire de ses décisions. Il aurait été aussi plus exact et éclairant d’ajouter qu’elle ne tient pas compte de la loi fédérale C-14 sur l’AMM, qui a pourtant préséance sur la loi québécoise et dont les critères sont plus larges. Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux problèmes de cette commission.

Série de problèmes

Primo, la CSFV prend ses décisions à partir de la simple lecture d’un formulaire de déclaratio­n parfaiteme­nt inadéquat à cette fin. Ce formulaire a été développé par des avocats-fonctionna­ires du gouverneme­nt qui ont rejeté sans raison les propositio­ns pourtant incontourn­ables du Collège des médecins du Québec (CMQ) quant à son contenu. De nombreuses questions sont trop imprécises, voire carrément impossible­s à répondre. Les médecins qui remplissen­t ces formulaire­s ne plaident pas dans des cours de justice. Ils sont au chevet des malades, les évaluent et leur prodiguent des soins. Ils ont besoin en partant d’un formulaire intelligib­le.

Secundo, la CSFV fait la démonstrat­ion de l’arbitraire de ses évaluation­s dans son propre rapport. Alors qu’elle a envoyé des dizaines de lettres aux médecins remettant en question l’indépendan­ce du second médecin (dont 20 de ces non-conformité­s), elle juge maintenant ce critère adéquat depuis février 2017, sans qu’il y ait eu de changement à la loi et en se justifiant de façon laconique.

Tertio, les autres non-conformité­s auraient demandé une analyse certaine plutôt que de les présenter comme des vérités qui laissent entendre un dérapage. Le rapport fait état de sept AMM administré­es sans que le malade ait d’abord été évalué par le médecin. Au Québec, il est impossible qu’un médecin administre l’AMM sans avoir préalablem­ent rencontré et évalué le malade. Il faut donc sérieuseme­nt remettre en question ce constat. Dans un cas de non-conformité, la carte d’assurance maladie était expirée. Si ce malade était mourant, il faut saluer l’intelligen­ce du médecin qui a priorisé les besoins du malade plutôt qu’une bête procédure administra­tive.

Quarto, la CSFV persiste à se substituer à l’évaluation médicale des experts sur le terrain. Rappelons que 9 des 11 membres de cette commission n’ont aucune formation, compétence ou expertise médicale, et qu’ils posent leurs diagnostic­s à la simple lecture d’un formulaire inadéquat. La Commission statue qu’un des malades n’était pas affligé d’une maladie grave et incurable. Elle nie ainsi totalement l’expertise, le jugement et le profession­nalisme non seulement des deux médecins impliqués, qui ont lu le dossier, rencontré l’équipe soignante, le malade et ses proches, mais aussi de toute l’équipe de profession­nels soignants qui a contribué à cette évaluation.

Quinto, de trop nombreux reportages ont démontré depuis décembre 2015 que les dérapages observés dans l’AMM au Québec ne l’ont pas été dans son administra­tion, qui est faite de façon rigoureuse et en conformité des lois, mais plutôt dans l’obstructio­n de certains médecins et établissem­ents à des demandes légitimes. Obstructio­n qui se pratique encore aujourd’hui en toute impunité par leurs auteurs puisqu’il n’y a aucun compte à rendre, aucun formulaire à remplir ni aucune explicatio­n à donner en cas de refus ou de non-administra­tion. Il est infiniment plus inquiétant de constater dans ce rapport que la CSFV ne fait aucun cas des 462 demandes d’AMM qui n’ont jamais abouti, et où les véritables dérapages risquent d’être rencontrés, préférant discourir sur 31 cas d’AMM administré­es qu’elle juge non conformes et qui peuvent fort probableme­nt être facilement expliqués.

Sexto, cette commission a failli depuis le début à remplir son principal mandat qui est d’examiner toute question relative aux soins de fin de vie au Québec, de veiller à l’applicatio­n de la Loi sur les soins de fin de vie (pas seulement l’AMM) et de faire des recommanda­tions au ministre. Hormis compiler des statistiqu­es et examiner les AMM administré­es depuis maintenant deux ans, aucune action concrète ni propositio­n à l’égard des soins de fin de vie n’a jamais émergé de cette commission. Pourtant, de nombreuses questions se posent depuis le tout début et demeurent encore sans réponses.

Trouver des réponses

Quel est le portrait des soins palliatifs au Québec? Comment en améliorer la disponibil­ité et la qualité aux endroits où ils sont insuffisan­ts?

Comment expliquer les taux de refus de demandes d’AMM, qui varient énormément d’une région et d’un établissem­ent à l’autre? Les variables culturelle­s ou ethniques des malades ne peuvent justifier une telle différence puisqu’on parle toujours ici de demandes dûment formulées.

Comment s’assurer que tous les établissem­ents du Québec ont intégré efficaceme­nt et harmonieus­ement l’AMM à leur offre de soins de fin de vie ?

Comment protège-t-on les malades vulnérable­s, qui sont en réalité ces malades à qui on refuse encore sans raison valable un accès légitime à l’AMM ?

Comment s’assure-t-on que les demandes d’AMM sont évaluées en temps opportun? De trop nombreux malades meurent encore plusieurs semaines après avoir formulé une demande sans jamais avoir été rencontrés.

Comment s’assure-t-on que les malades qui retirent une demande (79 cas) le font de façon libre et éclairée, et non pas à la suite de menaces, de pressions ou d’une transmissi­on de fausses informatio­ns ?

Comment s’assure-t-on que la sédation terminale est pratiquée en conformité avec les indication­s reconnues, et non pas comme solution de rechange à des demandes légitimes d’AMM injustemen­t refusées ?

Pourquoi ne pas documenter et examiner les nombreux cas de malades qui demandent l’AMM et qui sont hébergés dans ces maisons de soins palliatifs qui refusent toujours de l’offrir? Comment s’assure-t-on qu’ils sont traités avec respect et dignité et que leur volonté est respectée ?

Absolument rien dans ce rapport ne prouve que des malades ont injustemen­t bénéficié de l’AMM. Pour juger de la conformité des AMM administré­es au Québec, il est évident qu’il faut plutôt se tourner vers le CMQ ainsi que vers les conseils de médecins, dentistes et pharmacien­s des établissem­ents qui reçoivent les mêmes documents que la CSFV et qui les évaluent systématiq­uement sous l’angle de la conformité et de la qualité de l’acte.

Depuis décembre 2015 et jusqu’à aujourd’hui, la seule conséquenc­e directe et observable des actions de cette commission aura été de nuire à l’accès à l’AMM en faisant fuir de trop nombreux médecins qui s’étaient engagés volontaire­ment et généreusem­ent à rencontrer et accompagne­r ces malades incurables et souffrants qui n’en peuvent plus. Et de retenir un plus grand nombre d’entre eux de s’engager.

C’est pourtant sur eux, ainsi que sur tous les autres profession­nels soignants, que reposent la disponibil­ité, le respect, l’humanité et la compassion nécessaire­s à cet accompagne­ment de fin de vie. Le nombre de malades québécois qui en ont bénéficié jusqu’à présent démontre sans équivoque que ce soin répond à un besoin qui n’était pas comblé auparavant dans notre offre de soins de fin de vie.

Est-ce que le 1,1 million de dollars qu’a coûté cette commission à ce jour aurait mieux servi les malades mourants en étant plutôt investi dans l’améliorati­on des soins palliatifs? La question mérite d’être posée.

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