Musée d’art contemporain de Montréal: en communion avec Cohen
Le Musée d’art contemporain de Montréal consacre une exposition à l’artiste
LEONARD COHEN UNE BRÈCHE EN TOUTE CHOSE/ A CRACK EVERYTHING IN Au Musée d’art contemporain de Montréal, du 9 novembre au 9 avril.
Un incontournable, un immortel: appelez-le comme vous voulez, mais Leonard Cohen est un de ces monuments devant lesquels on est appelé à se prosterner. Si les régimes totalitaires imposent leurs dictateurs en toute impunité, le milieu culturel devrait lui aussi pouvoir ériger des statues de leurs grands poètes.
Or, l’exposition Une brèche en toute chose est bien mieux qu’un bronze à l’effigie de Cohen. Oui, elle célèbre le barde montréalais, sacralise sa voix, ses mélodies, sa silhouette. Mais elle le fait sans dicter un rituel précis.
Le Leonard Cohen que nous présente le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) n’est pas un monument poids lourd. Dans ce parcours qui pourrait facilement vous retenir au-delà de trois heures, on respire plutôt bien.
Signée à quatre mains — John Zeppetelli, directeur du MAC, et Victor Shiffman en sont les commissaires —, l’exposition repose sur un habile équilibre entre oeuvres denses et aérées, entre documents historiques et inédits, entre récits et propositions contemplatives. Si la musique règne en toute logique, les moments de silence ne sont pas rares.
Les fans de Cohen seront ravis de le revoir et de le réentendre. George Fok a trié d’innombrables archives de sa carrière sur scène et en dehors d’elle. Le montage sur de multiples écrans de Passing Through est captivant. Sans l’aspect musical, Kara Blake fait un exercice similaire dans The Offerings.
L’oeuvre phare, le clou de l’exposition, est sans doute l’installation réalisée à Montréal par la Sud-Africaine Candice Breitz. I’m Your Man (A Portrait of Leonard Cohen) rassemble virtuellement un choeur d’hommes — des professionnels — et une communauté de fans (que des hommes aussi) autour de l’interprétation de chaque titre de l’album I’m Your Man.
L’étude anthropologique de cette oeuvre, une approche que Breitz avait déjà appliquée pour des hommages à Marley et à Lennon, possède ses moments de grande intensité. L’artiste prend soin d’éliminer toute fioriture — les interprètes chantent a cappella —, donnant aux textes leur simple humanité. Leur singularité, sur les traits de chaque individu.
Divisée en deux espaces, l’installation met en relief la force des airs de Cohen — et ses silences —, aussi bien musicalement que sociologiquement.
Portée universelle
En prenant l’hommage posthume à bras-lecorps, et de sa propre initiative, le MAC a fait ce que le monde de la musique, voire le milieu littéraire, n’aurait pu faire: souligner la portée universelle et illimitée de l’oeuvre de Leonard Cohen.
Pas de chapelle, pas de discipline. Sa pensée, son audace, sa propre ambivalence à choisir entre une chose son contraire trouvent écho dans les 18 oeuvres inédites de l’exposition.
C’est particulièrement le cas chez Michael Rakowitz, dont le cheminement personnel forme l’épine d’une installation composée d’une vidéo, de présentoirs avec archives et d’un écran… éteint. Sorte de lettre à Cohen, l’oeuvre met en scène l’artiste dans sa complexité de juif humaniste, un pied en Israël, un en Palestine.
Ouverte et peu dogmatique, l’exposition ne manque pas de fétichiser son sujet. Deux duos, Janet Cardiff & George Bures Miller et les frères Sanchez, le font quand même en y ajoutant surprise et chaos.
Les oeuvres immersives ne manquent pas, à l’instar des projections multi-écrans de Fok et de Blake. Elles se vivent en groupe, contrairement à celles pour lesquelles il faut faire la file, une proposition de réalité virtuelle, l’autre, couché dans une salle fermée.
L’installation de Daily tous les jours, chouchou montréalais d’un art participatif, a trouvé le juste milieu: chacun de nous contribue à un murmure collectif, universel et sans identité linguistique, relayé par l’écoute en ligne de la chanson la plus célèbre de Cohen, Hallelujah.
La messe Une brèche en toute chose a ceci de bon qu’elle invite à communier avec et pour Leonard Cohen, tout en laissant une grande liberté. Fait notoire: malgré l’inévitable répétition musicale, on quitte le MAC sans l’expression «airs entendus» en tête.