Ottawa adapte sa stratégie de protection des aires marines
Intégrer la notion de «refuges» l’aide à atteindre son objectif
Pressé de rattraper son retard en matière de protection des milieux marins, le gouvernement Trudeau a décidé de créer une série de «refuges marins» dans la portion québécoise du golfe du Saint-Laurent. Des mesures qui se limitent à protéger des coraux et des éponges de mer, tout en laissant la porte ouverte à l’essentiel des activités humaines, a constaté Le Devoir. Un geste totalement insuffisant, selon la Société pour la nature et les parcs du Canada.
Même s’il est bordé par trois océans, le Canada tarde depuis plusieurs années à accroître la protection de ses milieux marins. En vertu d’un engagement international pris dans le cadre de la Convention sur la biodiversité de Nagoya, le Canada doit toutefois protéger 10% de ses milieux marins d’ici 2020.
Le gouvernement Trudeau s’est d’ailleurs donné comme objectif d’atteindre un taux de 5% avant la fin de 2017. Or, au début de l’année, le taux avoisinait toujours les 1 %. Ottawa a donc annoncé des projets au cours de l’année, dont une importante «aire marine de conservation nationale proposée» au Nunavut, mais dont la désignation officielle est à venir. Aucun des trois projets majeurs de protection envisagés dans les eaux québécoises depuis plusieurs années ne verra toutefois le jour cette année, comme l’a révélé Le Devoir en juin dernier.
Le gouvernement Trudeau a néanmoins décidé de créer pas moins de 11 « refuges marins »
dans le golfe du Saint-Laurent, pour un total de 8571 km2. C’est d’ailleurs avec ces mesures que le fédéral s’est félicité d’avoir atteint, à temps, son objectif de «protéger 5% de ses océans et de ses côtes ».
La majorité de ces zones sont situées dans la portion québécoise du golfe. Elles sont essentiellement concentrées autour de l’île d’Anticosti, particulièrement dans la zone située au sud de l’île, au coeur du chenal laurentien, une sorte de vallée sous-marine.
Ces « refuges marins », une catégorie de protection créée par Pêches et Océans Canada, se résument toutefois à des «mesures de gestion des pêches ». Ainsi, pour les onze sites ciblés par le fédéral, les mesures de protection sont similaires. Il s’agit d’interdire «les pêches qui utilisent des engins de fond, comme les chaluts de fond, les dragues, les sennes de fond, les casiers, les filets maillants et les palangres de fond ».
L’objectif est de protéger les éponges de mer et les coraux, des espèces qui peuvent être affectées par les engins de pêche qui touchent le fond. En consultant les cartes produites par Pêches et Océans Canada, on constate toutefois que ces types de pêche sont déjà absents depuis plusieurs années de l’essentiel des secteurs désignés comme « refuges marins ».
Pêches et Océans Canada précise par ailleurs qu’« aucune des autres activités humaines menées dans cette zone n’est incompatible avec les composantes écologiques d’intérêt». Cela signifie que la pêche commerciale est toujours possible, de même que la navigation commerciale. Cela pourrait aussi ouvrir la porte aux projets d’exploration pétrolière et gazière, puisque Pêches et Océans Canada ne mentionne pas d’interdictions formelles de ces activités industrielles. Au moins un de ces « refuges » se situe dans une zone où des permis d’exploration sont en vigueur.
La biodiversité n’est pas protégée
Ces mesures de protection sont donc « nettement moins contraignantes» que celles imposées dans le cadre des aires marines nationales ou des zones de protection marine, souligne le biologiste Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec). « Ce sont des mesures de création d’aires marines protégées à rabais », résume-t-il.
Selon lui, ces « refuges marins » ne devraient d’ailleurs pas être comptabilisés par le Canada pour atteindre ses objectifs de protection des milieux marins. « Dans chacun des cas, l’objectif de protection cible de façon très spécifique un seul élément de la biodiversité. C’est une mesure de gestion des pêches. Or, l’objectif principal d’une aire marine protégée est de conserver tout un écosystème. Il est donc clair que cette façon de faire ne répond pas à l’objectif de protéger un territoire et l’ensemble de ses composantes, donc de la biodiversité. »
M. Branchaud, qui a notamment travaillé pour Environnement Canada, doute que ces « refuges marins » répondent aux critères internationaux de protection établis par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Ceux-ci visent globalement « la conservation et la mise en place de mesures efficaces pour l’ensemble des composantes de la biodiversité ».
Mesures efficaces
Le Canada s’est engagé à respecter les critères internationaux fixés par l’UICN. Les critères liés directement aux «mesures de conservation efficaces par zone», une catégorie de l’UICN dans laquelle Ottawa veut inscrire ses « refuges marins », seront justement discutés dans le cadre d’une rencontre technique sur la mise en oeuvre de la Convention sur la biodiversité qui se tiendra en décembre à Montréal.
Au cabinet du ministre de Pêches et Océans Canada, Dominic LeBlanc, on assure que les refuges marins constituent des mesures de protection efficaces. «Pêches et Océans a établi cinq critères auxquels une mesure de gestion de conservation par zone doit satisfaire pour être considérée comme refuge marin, et contribuer ainsi aux objectifs de conservation marine du Canada. Ces critères sont rigoureux et basés sur la science, et nous avons bon espoir que les zones qui s’y conforment offrent une véritable protection pour nos ressources marines », a fait valoir son cabinet, dans une réponse écrite.
Le gouvernement fédéral souhaite par ailleurs « finaliser » l’implantation de l’aire marine du banc des Américains en 2018. Cette zone de 1000 km2 est située tout juste à l’est de la péninsule gaspésienne. Deux autres projets de protection marine, l’un englobant tout l’archipel des îles de la Madeleine et l’autre situé dans l’estuaire du Saint-Laurent, ne progressent pas depuis plusieurs années. Ces trois territoires totalisent 24 000km2, soit près de trois fois la superficie désignée comme « refuges marins » par le gouvernement Trudeau.
«Ce sont des mesures de création d’aires marines protégées à rabais » Alain Branchaud