Le Devoir

Le désastre anticipé d’une présidence-spectacle en déficit d’attention

- DAVID GRONDIN Chercheur au Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal (CERIUM) et professeur agrégé au Départemen­t de communicat­ion de l’Université de Montréal

Cest en début de mandat qu’un président bénéficie d’une latitude pour donner une direction à sa présidence, pour consolider l’engouement qu’il a su générer. Au premier anniversai­re de la victoire de Donald Trump, son bilan de réalisatio­ns apparaît mince. Au-delà des tempêtes qu’il a orchestrée­s ou entraînées par ses décisions controvers­ées (le décret sur l’immigratio­n des ressortiss­ants de six pays musulmans, le retrait par décret de l’Accord de partenaria­t transpacif­ique, le retrait de l’Accord de Paris sur le climat de 2015, etc.), Trump a surtout réussi à imprégner la présidence du style personnel qu’on lui connaissai­t en affaires et dans le milieu du divertisse­ment télévisuel. Celui-ci est axé sur le culte de sa personnali­té, sans égard à l’impact sur l’image et sur la réputation des États-Unis à l’échelle mondiale.

On constate rapidement que sa personnali­té imprévisib­le, son entêtement et sa conduite souvent non présidenti­elle réduisent son pouvoir effectif. Après une élection acrimonieu­se soldée par une victoire décisive au Collège électoral mais assombrie par une défaite au suffrage universel, Trump n’a pas su rassembler une société fortement polarisée.

La transition entre le candidat Trump — l’homme d’affaires fourbe et mégalomane vedette de la téléréalit­é The Apprentice au style polémique, intimidate­ur et conspirati­onniste — et le président Trump n’a pas été concluante: on attend toujours un comporteme­nt présidenti­el, où Trump serait capable de s’élever au-dessus des politiques bassement partisanes et des mesquineri­es individuel­les.

Depuis qu’il est en poste, il parle essentiell­ement à sa base (qui n’est pas la base traditionn­elle du Parti républicai­n), pas à tous les Américains. Même s’il conserve pour l’instant l’appui des électeurs républicai­ns, son impopulari­té est inégalée, notamment dans une première année au pouvoir (une étude du Washington Post et de la chaîne de télévision ABC News indique que 59 % des Américains désapprouv­ent son travail et que 65% pensent qu’il a « peu ou rien » fait).

Un style non présidenti­el

Depuis qu’il est en poste, Donald Trump parle essentiell­ement à sa base, pas à tous les Américains

L’attraction que peut avoir la présidence américaine dans l’imaginaire populaire comme symbole de grandeur et de puissance est tributaire de l’hégémonie mondiale culturelle et politique dont jouissent les États-Unis. La personne qui occupe la présidence peut en tirer profit en exerçant un leadership éclairé et inspirant : le pouvoir d’influence de la présidence en dépend directemen­t.

À l’interne, le président fait face à de nombreux défis structurel­s: les «poids et contrepoid­s» que les Pères fondateurs ont inscrits dans la Constituti­on et ses amendement­s, ainsi que les pratiques coutumière­s mises en place au fil du temps afin de prévenir l’émergence d’un pouvoir exécutif tyrannique. Ces limites à l’exercice unilatéral du pouvoir frustrent énormément Trump, qui n’a d’ailleurs pas caché son mépris à l’endroit des médias.

Cela signifie que le style l’emporte souvent sur la substance en politique américaine. La fonction commande certaines qualités de leadership et de communicat­ion: communique­r efficaceme­nt, rallier ses troupes mais aussi bâtir des coalitions pour forger des consensus politiques, et exercer un jugement politique qui paraisse présidenti­el.

C’est là que réside le pouvoir présidenti­el, le titulaire de la présidence devant user de sa capacité de persuader pour séduire et convaincre. Or, le leadership et le jugement font cruellemen­t défaut au président Trump. Marquée du sceau de l’imprévisib­ilité et de l’affronteme­nt, sa présidence va de pair avec son déficit d’attention médiatique. Son style «non présidenti­el » exprime un style communicat­ionnel agité et une manière improvisée, conspirati­onniste et trompeuse de faire de la politique, ce que cristallis­e avant tout sa conduite sur Twitter.

La diplomatie Twitter

Il n’y a aucun doute que son utilisatio­n effrénée de Twitter le distingue de ses prédécesse­urs. Le public et les médias d’informatio­n ont pris l’habitude d’attendre ses tweets en matinée et en cours de journée pour prendre le pouls de son gouverneme­nt. Ses tweets sont systématiq­uement commentés, alors qu’il ne s’agit pas là d’une ligne officielle de la Maison-Blanche (qui aurait d’abord été filtrée par des conseiller­s politiques et des stratèges de communicat­ion). Il a défendu sa pratique en disant vouloir parler directemen­t aux citoyens américains sans intermédia­ires (notamment ceux qu’il appelle les « méchants » médias « partiaux »).

Or, ce qui est plus problémati­que est qu’il ne peut s’empêcher de réagir sur Twitter, l’instantané­ité du réseau social amplifiant alors son indiscipli­ne. Cela peut d’ailleurs le placer en porte-à-faux avec la politique américaine (comme l’annonce de l’interdicti­on de recruter des militaires transgenre­s faite sans consultati­on des militaires et sans évaluation des effets des changement­s de politique) ou parfois en violation du code de conduite de Twitter avec des menaces de violence et du harcèlemen­t sans risque de voir son compte être supprimé. Cela contribue d’autant à miner sa capacité d’influence sur les autres acteurs de la politique américaine et internatio­nale.

Les présidenti­elles sont déjà le spectacle politique par excellence de la vie politique américaine et le plus médiatisé mondialeme­nt — et un personnage controvers­é comme Donald Trump représente l’aboutissem­ent de la politique-spectacle. Sur Twitter, on a pu constater qu’il était bien davantage un agitateur n’hésitant pas à rompre avec le protocole et à insulter des alliés comme des adversaire­s.

Bien que son parti détienne les rênes du pouvoir dans les deux chambres du Congrès (même s’il s’agit d’une mince majorité au Sénat), il n’arrive pas à imposer son ordre du jour à Washington. Jusqu’ici, il a surtout pu nous montrer qu’un slogan comme «Redonner à l’Amérique sa grandeur» ne fait pas une politique. Sa mythomanie, sa propension aux mensonges et sa dépendance aux fausses nouvelles en ont davantage fait un amuseur public qui a su miser sur sa maîtrise des médias et sa capacité à se donner en spectacle pour faire parler de lui et continuer son spectacle solo.

 ?? NICHOLAS KAMM AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Au premier anniversai­re de la victoire de Donald Trump, son bilan de réalisatio­ns apparaît mince.
NICHOLAS KAMM AGENCE FRANCE-PRESSE Au premier anniversai­re de la victoire de Donald Trump, son bilan de réalisatio­ns apparaît mince.

Newspapers in French

Newspapers from Canada