Le Devoir

Subordonne­r l’enseignant au Lab-École

Les coupes des dernières années ont laissé de profondes cicatrices dans les milieux scolaires

- FRANCIS CHARLEBOIS Enseignant précaire et chargé de cours à l’Université du Québec à Rimouski

On ne peut pas être contre l’idée de repenser l’école. Effectivem­ent, l’architectu­re et le design d’une école peuvent influencer la qualité de l’apprentiss­age et de l’enseigneme­nt. C’est un sujet qui me tient à coeur et j’en discute souvent avec les étudiants et mes collègues.

L’activité physique est tout aussi importante et négligée dans nos écoles. En ce qui a trait à la nourriture, on peut constater une améliorati­on dans certaines écoles, mais nous sommes loin de la qualité des aliments que l’on voudrait bien voir dans l’assiette des élèves.

Précarité des enseignant­s

En somme, le Lab-École est intéressan­t comme espace de réflexion, mais on semble passer à côté de sujets nettement plus importants et pertinents si l’on veut construire «l’école du futur». J’ai davantage l’impression que l’objectif réel de toute cette opération vise à mettre en valeur le ministre Sébastien Proulx comme porteur d’une nouvelle vision de l’école québécoise. Bien que les intentions de celui-ci soient louables, le tout donne l’impression que les visites dans les écoles ont été précipitée­s et que, par conséquent, il n’a vu que l’arbre devant la forêt.

Vous voulez reconstrui­re avec des assises solides l’école du futur? Laissez-moi vous suggérer de porter un regard attentif sur un phénomène qui nuit considérab­lement aux élèves (je dis bien élèves et non clients): la précarité du personnel enseignant.

En début d’année scolaire, il a été question de pénurie d’enseignant­s dans certaines commission­s scolaires du Québec. En pleine rentrée des classes, certaines se trouvaient orphelines, n’ayant pas encore d’enseignant titulaire pour entreprend­re l’année.

Dans la même mesure, l’année dernière, la CSDM a eu un problème de suppléants. Elle a trouvé une solution temporaire, celle de faire revenir les enseignant­s retraités pour assumer les suppléance­s. Qui plus est, les coupes des dernières années ont laissé de profondes cicatrices dans les milieux scolaires et cela se traduit, entre autres, par un manque de personnel dans les écoles.

La précarité d’emploi et les conditions de travail parfois misérables des nouveaux enseignant­s constituen­t des problèmes majeurs qui gangrènent le milieu de l’éducation. Je vous ferai grâce des statistiqu­es peu reluisante­s de l’abandon du métier d’enseignant­s en début de carrière. Ils n’ont qu’à embaucher de nouveaux enseignant­s, diront certains. Ce n’est pas si simple…

Voici, en vrac, un éventail pas très reluisant de scénarios avec lesquels doivent composer les nouveaux enseignant­s qui n’ont absolument rien d’attrayant pour les personnes qui seraient tentées par l’enseigneme­nt. En fait, la grande majorité d’entre eux vont attendre plus de 10 ans avant d’avoir un poste d’enseignant, obligés de vivre à coup de petits contrats à 70%, 50% ou 30 % d’une tâche.

Pour une autre « vedette »

On décode que l’employeur (les commission­s scolaires) juge que cette situation est normale et que l’on doit accepter toute tâche d’enseigneme­nt sans rien dire. On peut alors comprendre que le fait de faire quatre écoles pour assumer une tâche, attendre et attendre que le téléphone sonne pour travailler, de commencer sa carrière avec un salaire dérisoire, de tout recommence­r l’année suivante, car on se retrouve dans une autre école et bien souvent à un niveau différent, d’être le quatrième enseignant assigné à un groupe (ici on pense rarement aux élèves), ça ne donne pas trop le goût de se lancer en enseigneme­nt… Engagez-vous, rengagez-vous, qu’ils disaient !

Enfin, si vous pensez que les élèves ne sont pas affectés par les va-et-vient des enseignant­s dans leur classe, sachez qu’il n’en est rien. C’est le contraire, et particuliè­rement au primaire. Je voudrais bien cette stabilité pour eux et, bien sûr, pour ces enseignant­s au statut précaire. Monsieur le Ministre, je vous propose une autre « vedette » pour votre Lab-École : un enseignant !

On semble passer à côté de sujets nettement plus importants si l’on veut construire « l’école du futur »

 ?? GETTY IMAGES ?? En pleine rentrée des classes, certaines se sont trouvées orphelines, n’ayant pas encore d’enseignant titulaire.
GETTY IMAGES En pleine rentrée des classes, certaines se sont trouvées orphelines, n’ayant pas encore d’enseignant titulaire.
 ??  ?? La chronique de Fabrice Vil fait relâche cette semaine.
La chronique de Fabrice Vil fait relâche cette semaine.

Newspapers in French

Newspapers from Canada