Le Devoir

Yvon Godin réplique à Romeo Saganash

« Il y a deux langues officielle­s au Canada, et c’est l’anglais et le français »

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

La sortie du député Romeo Saganash contre le bilinguism­e « colonial » à la Cour suprême irrite au plus haut point son ancien collègue Yvon Godin. L’ex-élu néodémocra­te refuse catégoriqu­ement que la maîtrise d’une langue autochtone se substitue à celle de l’anglais ou du français.

«Je ne suis pas d’accord», lance Yvon Godin au cours d’un entretien téléphoniq­ue avec Le Devoir. «Il y a deux langues officielle­s au Canada, et c’est l’anglais et le français.»

M. Godin est en quelque sorte le père des projets de loi imposant le bilinguism­e au plus haut tribunal du pays. Lorsqu’il siégeait à la Chambre des communes, le député néo-brunswicko­is a piloté trois projets de loi stipulant que, pour être nommée juge à la Cour suprême, une personne doit «comprendre l’anglais et le français sans l’aide d’un interprète ».

Aucune de ses initiative­s n’a pu être adoptée, soit par manque de temps, soit à cause de l’opposition du gouverneme­nt. Son collègue François Choquette a pris le relais en faisant voter le projet de loi C-203 il y a deux semaines, mais il a été défait à son tour. Parmi les opposants se trouvent des députés du NPD, dont Romeo Saganash.

M. Saganash estime qu’une personne parlant une langue autochtone en plus de l’anglais ou du français devrait être considérée comme bilingue aux fins de nomination à la Cour suprême ou d’obtention d’un poste désigné bilingue dans la fonction publique fédérale. Selon lui, «on perpétue avec ce projet de loi le colonialis­me », car seules les langues des peuples colonisate­urs sont reconnues.

M. Godin rejette cet argument. Il rappelle qu’au Canada, les lois sont écrites simultaném­ent en anglais et en français par deux équipes de légistes. Elles ne sont pas traduites. « Les juges sont là pour interpréte­r les lois du Parlement et elles ne sont pas rédigées en langues autochtone­s », rappelle-t-il.

L’argument colonialis­te ne l’atteint pas. «Ce n’est pas ça, les langues officielle­s au Canada. S’ils veulent avoir une troisième langue officielle, qu’on aille de l’avant, mais là, il y en a deux.» Il s’étonne d’autant plus de la position de M. Saganash que ce dernier avait voté pour son projet de loi C-208 (identique au C-203) en 2014.

Pour M. Godin, l’important n’est pas tant de considérer les droits du titulaire d’un poste ou d’un aspirant juge, mais les droits des citoyens qui devront interagir avec cette personne. « Si, lorsque tu appelles à Ottawa, tu te fais répondre par quelqu’un qui parle anglais et cri, mais pas français, et que tu es francophon­e, on ne peut pas te servir. Ça deviendrai­t une autre excuse pour nous enlever le bilinguism­e et pour réduire les services en français.»

L’idée ne semble pas très répandue, mais elle pourrait faire des adeptes. «C’est la première fois ce matin [jeudi] que j’entendais parler de cela », lance le chef national du Congrès des peuples autochtone­s du Canada, Robert Bertrand. «Je suis d’accord!» Craint-il une perte de services en français? «Il existe de très bons interprète­s au gouverneme­nt fédéral », répond-il.

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