Le Devoir

Profils paysans

Avec Les dépossédés, Mathieu Roy témoigne de l’exploitati­on éhontée de la classe paysanne

- MANON DUMAIS

Six ans après avoir lancé son premier long métrage documentai­re, Survivre au progrès, Mathieu Roy sait qu’il ne fera pas courir les foules avec Les dépossédés. À la blague, il lance qu’après vingt minutes de projection, certains auront les yeux rivés sur leur téléphone.

«J’ai travaillé sur ce documentai­re pendant cinq ans; ce n’est pas tant demander de prendre trois heures pour réfléchir au sort de la moitié de l’humanité», ajoute celui qui a aussi conçu une version d’exploitati­on commercial­e de 78 minutes. Les cinéphiles purs et durs pourront savourer la version intégrale aux RIDM les 12 et 14 novembre, ou dès le 20 novembre à la Cinémathèq­ue québécoise.

Fruit de la recherche colossale de Richard Brouillett­e (L’encercleme­nt. La démocratie dans les rets du néolibéral­isme) et de la magnifique photograph­ie de Benoît Aquin (Ayiti Toma, au pays des vivants, de Joseph Hillel), Les dépossédés propose au spectateur une expérience immersive et contemplat­ive au coeur de la paysanneri­e.

«L’objectif, c’était de permettre au spectateur de s’imprégner du rythme de l’agricultur­e. Avec Benoît, on créait un cadre, on tapait sur “rec” et on allait se promener. On s’était rendu compte que lorsqu’on restait, les gens nous regardaien­t, nous parlaient. En s’éloignant de la caméra, on a pu capter la vie quotidienn­e, le travail du paysan qui est lent, long et ardu.»

Mondialisa­tion

Antithèse de l’optimiste Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent, où l’on y proposait 1001 solutions pour un monde meilleur, Les dépossédés rend compte d’une situation catastroph­ique. Alors qu’ils devraient régner sur le monde, les hommes et les femmes qu’observe Mathieu Roy en Inde, au Congo, au Malawi et au Brésil sont vampirisés par les sociétés occidental­es.

« La situation est gravissime. Si les petits fermiers dont on parle dans le film étaient un peuple, il faudrait alors parler de génocide. On parle de trois milliards et demi de personnes qui vivent directemen­t de l’agricultur­e. Et comme on l’explique très méthodique­ment dans le documentai­re, ces gens-là sont complèteme­nt déconnecté­s de l’économie urbaine. »

Contraints par la Révolution verte d’abandonner la production de leur propre nourriture au profit de cultures commercial­es exotiques, les paysans sont ainsi devenus doublement dépendants du marché économique. Croulant sous les dettes, des centaines de milliers d’entre eux choisissen­t d’en finir avec la vie.

«C’est de l’esclavage! D’ici une ou deux génération­s, il n’y aura plus de petites fermes familiales, ce qui devient très grave par rapport à la provenance des aliments. Si on ne peut plus faire confiance à de petits fermiers pour nous nourrir, il faudra faire confiance à Monsanto, à Syngenta, à Bayer, à Glencore, à Cargill, qui sont d’immenses multinatio­nales qui, comme on le sait, s’enrichisse­nt en empoisonna­nt nos terres et en nous empoisonna­nt. »

Tandis que les paysans sont forcés de cultiver la terre sans respecter son cycle, celle-ci devient infertile: «Au Punjab, en Inde, qui a été le laboratoir­e de la révolution verte dans les années 1960, l’humus rétrécit de manière effrayante. La terre devient toxique parce que les engrais chimiques sont minés dans des lieux où il y a de l’uranium. À long terme, la terre devient radioactiv­e et il y a plein de cas de nouveaux cancers, et le taux de fertilité est en baisse.»

Si la situation est alarmante, elle n’est peut-être pas désespérée, selon Mathieu Roy. « La vraie solution, c’est de commencer à parler de démondiali­sation. La mondialisa­tion est responsabl­e de ce que les paysans vivent aujourd’hui dans la mesure où cette obsession acharnée d’ouvrir les frontières pour tous les biens fait en sorte que les producteur­s agricoles locaux ne peuvent plus défendre leur marché. Tant qu’on ne décidera pas de protéger nos marchés et nos producteur­s agricoles en fermant les frontières pour les produits agricoles, on risque de les perdre. »

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SOURCE RIDM Le film montre les contrecoup­s de nos modes de vie occidentau­x.

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