Le Devoir

Un milliard en recettes fiscales

Ottawa confirme que la TPS s’ajoutera au prix de la marijuana

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Avis aux citoyens qui attendent impatiemme­nt de s’acheter légalement de la marijuana: celle-ci pourrait être taxée à près de 25%. Ottawa a dévoilé son plan fiscal en vue de la légalisati­on du cannabis et prévoit d’imposer une taxe d’accise d’environ 10% de même que la TPS et la taxe de vente harmonisée. Ce qui engendrera­it des recettes d’environ un milliard de dollars, prédit le fédéral, qui chiffrait pour la première fois ses prévisions fiscales.

Le gouverneme­nt libéral dit avoir du mal à prédire la taille du marché du cannabis. Il estime toutefois qu’il pourrait représente­r environ 400 tonnes par année. En y imposant la taxe d’accise prévue de 10% et une taxe harmonisée d’environ 13% — selon la province —, Ottawa prévoit pour l’instant que le marché légal de la marijuana récréative pourrait rapporter 1 milliard, que se partagerai­ent le fédéral et les provinces.

«C’est une évaluation très élevée, à mon avis»,a tenté de nuancer le secrétaire parlementa­ire de la ministre de la Justice, Bill Blair, qui avait d’abord refusé de dévoiler le chiffre. De tels revenus de taxes seraient à son avis le scénario le plus lucratif. M. Blair a refusé de chiffrer le scénario le moins payant, selon les projection­s de son gouverneme­nt. « C’est un marché illicite, a-t-il fait valoir vendredi, en arguant que le marché noir ne leur avait pas révélé la taille du marché. En ce moment, on fonctionne avec des estimation­s.»

L’an dernier, le directeur parlementa­ire du budget prédisait un marché du cannabis légal de 655 tonnes en 2018, qui pourrait atteindre 734 tonnes en 2021.

Bill Blair a réitéré vendredi qu’Ottawa comptait imposer une taxe d’accise de 1$ par gramme qui sera vendu 10$ ou moins, ou de 10% le gramme au-delà de ce prix. Les recettes seraient partagées en parts égales entre Ottawa et la province. D’ici à la prochaine rencontre des ministres fédéral et provinciau­x des Finances, prévue dans la capitale fédérale à la midécembre, le gouverneme­nt Trudeau mènera des consultati­ons jusqu’au 7 décembre.

Les négociatio­ns entre les gouverneme­nts s’annoncent cependant difficiles. Les premiers ministres des provinces avaient rejeté à l’unanimité le plan d’Ottawa, début octobre, en réclamant une plus grande part de la taxe d’accise puisque ce seraient eux qui hériteraie­nt d’une grande part de la facture engendrée par la légalisati­on de la marijuana.

À Québec, le bureau du ministre des Finances, Carlos Leitão, a répété que la propositio­n fédérale «ne correspond pas à la réalité des besoins des provinces » qui écoperont de la «grande majorité des coûts ». «Il est donc indispensa­ble que les provinces disposent de la juste part du champ fiscal pour couvrir ces coûts», a-t-on indiqué. Ottawa devra aussi composer avec les municipali­tés, qui veulent prendre part aux pourparler­s sur l’encadremen­t de la légalisati­on. La Fédération canadienne des municipali­tés a en outre demandé sa part financière, sans la chiffrer, dans une lettre envoyée au gouverneme­nt la semaine dernière. La FCM y note que la légalisati­on touchera 17 services municipaux, notamment les corps policiers dont les municipali­tés paient presque 60% des coûts de service.

Le plan fédéral prévoit d’imposer la taxe d’accise de 50 ¢ par gramme — il reviendra aux provinces d’imposer l’autre part de 50%, ou une somme plus élevée si elles le souhaitent.

Le gouverneme­nt de Justin Trudeau pourraitil ajuster son plan fiscal pour répondre aux demandes des provinces ou des municipali­tés? «Pour l’instant, c’est ce qu’on a proposé», a rétorqué le secrétaire parlementa­ire du ministre des Finances, Joël Lightboung, en refusant de présumer de l’issue des consultati­ons et des négociatio­ns que mènera le ministre Bill Morneau avec ses homologues provinciau­x le mois prochain.

Taxe de vente de surcroît

Le gouverneme­nt Trudeau a par ailleurs annoncé qu’il imposerait aussi la taxe sur les produits et services (TPS), de même que la taxe de vente harmonisée dans les provinces concernées.

Au Québec, le gouverneme­nt aura le loisir d’imposer ou non la TVQ. Le bureau du ministre Leitão n’a pas voulu préciser s’il le fera, puisque le projet de loi québécois s’apprête à être déposé à l’Assemblée nationale.

Les prix pourraient donc varier d’une province à l’autre. L’exemple cité par le fédéral vendredi prévoyait du cannabis à 8$ le gramme. Avec une taxe d’accise de 1$ et une TPS/TVH de 13%, le prix atteindrai­t 10,17$ en Ontario. Au Québec, si la TVQ était imposée, le même gramme de marijuana coûterait 10,35$, tout comme au NouveauBru­nswick. Mais le prix serait de 9,45$ en Alberta, où il n’y a pas de taxe de vente.

Bill Blair juge que son gouverneme­nt a su trouver un équilibre en optant pour un prix suffisamme­nt élevé pour ne pas encourager une consommati­on excessive, mais pas trop afin de rivaliser avec le marché noir.

Les producteur­s de marijuana médicinale, qui se préparent à rejoindre le marché récréatif, sont du même avis. Le patron d’OrganiGram, Larry Rogers, trouve que le plan fiscal d’Ottawa « semble raisonnabl­e ».

Chez Tweed, le gramme de marijuana oscille entre 6$ et 12$. «On pense que le taux proposé nous permettra quand même d’être compétitif­s avec le marché noir, a déclaré leur représenta­nt québécois, Adam Greenblatt. Mais ça ne devra pas être plus élevé que ça. »

Bien que certaines souches de cannabis soient vendues plus cher que le prix moyen de 10$ le gramme sur le marché noir, il estime que les consommate­urs seront prêts à débourser la différence pour «des variétés exclusives» et des produits « de qualité » — comme ils le font lorsqu’ils se paient une bonne bouteille de vin à la SAQ plutôt qu’un vin de dépanneur.

Hausse de taxe

Afin d’éviter que la marijuana médicinale soit désormais moins chère que la marijuana récréative, Ottawa a choisi d’y imposer aussi la taxe d’accise. « On ne veut pas que les niveaux de taxe incitent les gens à utiliser de façon abusive ce système [d’accès à la marijuana médicale] », a fait valoir Bill Blair.

Or, les patients doivent obtenir une prescripti­on d’un médecin qui surveille leur dossier, ce qui minimise le risque d’abus, rétorque Colette Rivet, de l’Associatio­n Cannabis Canada, qui rassemble 19 producteur­s de marijuana médicale.

Les producteur­s sont déçus, eux qui tentaient déjà de soustraire leurs produits à la TPS et à la TVH. «Les patients médicaux ne devraient pas être assujettis du tout à une taxe sur leur médicament », a fait valoir Mme Rivet.

«Alourdir le fardeau des patients avec un 10% de plus à ce qu’ils paient déjà va nuire à beaucoup de monde », a déploré sur Twitter Kirk Tousaw, l’avocat qui s’est battu en cour pour la légalisati­on de la marijuana médicinale.

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