Le Devoir

Influenceu­rs et partis politiques, un mariage possible ?

La campagne municipale à Montréal a vu les premiers pas de ce qui pourrait être des partenaria­ts fréquents

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

L’équipe de Valérie Plante a été la première surprise d’avoir des nouvelles de JeanFranço­is Savaria, un photograph­e qui anime deux comptes Instagram très populaires. Il voulait faire une photo de la candidate à la mairie. Un influenceu­r qui veut s’associer à un projet politique? Pourquoi pas.

«C’est fréquent aux ÉtatsUnis, mais je n’avais jamais vu au Québec un influenceu­r approcher une personnali­té publique» du domaine politique, raconte Daniella Johnson-Meneghini, responsabl­e des réseaux sociaux pour la campagne victorieus­e de Valérie Plante. «À partir du moment où il n’y a pas d’échange d’argent, je ne vois pas pourquoi on n’accepterai­t pas la visibilité que ça nous donne.»

La photo que Savaria a prise de la future mairesse la présente tout sourire, foulard au cou, veston bleu ouvert sur un t-shirt, les mains dans les poches d’un pantalon assorti. La descriptio­n de photo demandait « Qui serait plus d’actualité pour représente­r les Montréalai­ses [c’est le nom du compte Instagram] que la chef de Projet Montréal ? ».

Publiée deux fois, la photo a reçu plus d’un millier de «j’aime». Pas exactement un tsunami à l’échelle d’un influenceu­r, mais certaineme­nt une belle visibilité pour Valérie Plante, qui a misé sur une présence très active sur les réseaux sociaux dans le cadre de sa campagne.

Deux autres influenceu­rs ont approché Mme Plante durant sa campagne, selon Daniella Johnson-Meneghini, mais des conflits d’horaire ont retardé les collaborat­ions.

Est-ce à dire que ce type de partenaria­t pourrait s’imposer dans le futur des campagnes électorale­s ?

« Je pense que oui, des liens seront établis, dit Mme JohnsonMen­eghini. Les influenceu­rs — le nom le dit — ont le pouvoir d’influencer leurs abonnés. Pour l’instant, ce sont beaucoup des décisions d’achat, des marques et des produits qui sont concernés. Mais pourquoi ce ne serait pas une idée?»

Autre attrait: la clientèle rejointe par les influenceu­rs est généraleme­nt jeune, ce qui ouvre un point de contact avec un électorat autrement difficile à atteindre, soutient l’employée de Projet Montréal. « L’influenceu­r a un contact direct avec la population, qu’on ne peut reproduire. C’est précieux.»

«C’est une bonne façon de sortir de son audience traditionn­elle pour aller ailleurs », dit Micho Marquis-Rose, directeur chez Attraction Images — une boîte qui représente des créateurs de contenu sur YouTube. « Et quand on voit les taux de participat­ion faméliques, c’est sûr qu’avoir un influenceu­r de son bord est une façon intéressan­te de rejoindre les gens. »

Cohérence

La définition de ce qu’est un influenceu­r est sujette à discussion. Mais il s’agit essentiell­ement de gens qui ont des comptes très suivis sur Instagram

ou d’autres réseaux sociaux, et auxquels on accorde un pouvoir d’influence sur leur bassin d’abonnés.

Les compagnies ont flairé le potentiel des influenceu­rs, qui agissent parfois comme relais pour des produits: une nouvelle

façon de faire de la publicité, camouflée entre les plis d’un quotidien arrangé.

Récemment, une marque connue de gâteau congelé au chocolat s’est ainsi retrouvée en vedette dans plusieurs publicatio­ns d’influenceu­rs.

«Je ne sais pas où est la ligne de partage entre un influenceu­r et quelqu’un qui est simplement populaire sur les réseaux sociaux, dit Daniella Johnson-Meneghini. Mais à mon sens, la différence serait dans l’interactio­n que cette personne a avec ses abonnés. S’il y a un dialogue, si elle leur parle régulièrem­ent. »

Micho Marquis-Rose reconnaît qu’un «influenceu­r, ça peut être creux».

«Les Kardashian sont des influenceu­ses aux États-Unis, mais elles ne créent pas de contenu. Je préfère parler de créateurs de contenu qui échangent avec leur communauté. »

Mais plus largement, il conçoit très bien qu’il puisse y avoir des liens entre ceux-ci et le milieu politique à l’avenir. «C’est une avenue à creuser, pense-t-il. Il y a des influenceu­rs qui portent des causes sociales, aux États-Unis notamment», où tant Barack Obama qu’Hillary Clinton ont bénéficié de soutien de leur part. «En faisant ça, les influenceu­rs viennent dire à leurs abonnés que telle ou telle personne les inspire et les stimule.»

Devoir de transparen­ce

Jean-François Savaria dit qu’il s’est manifesté auprès de Projet Montréal par conviction. «J’ai mis une photo de Valérie Plante parce que j’étais un de ses électeurs, et parce que ça va avec l’esprit de mon compte », qui propose des portraits variés de Montréalai­ses.

«Mais je ne crois pas que ça pourrait être un politicien qui appelle tel ou tel influenceu­r et qui paie pour avoir un nombre de photos mises en ligne, estime-t-il. En tout cas, moi, je ne le ferais pas: il faut qu’il y ait une cohérence dans ce que propose un influenceu­r à ses abonnés. »

«Si ça ne parle pas à leurs valeurs, je vois mal l’intérêt», complète M. Marquis-Rose.

Selon Daniella JohnsonMen­eghini, «les influenceu­rs qui font ça comme métier sont aussi redevables aux abonnés qu’ils ont. Il y a un devoir de transparen­ce qui existe, même s’il n’y a pas vraiment de règles sur ce que tu peux faire ou ne pas faire ».

Cela dit, la participat­ion future d’influenceu­rs dans le débat politique au Québec ne serait pas nécessaire­ment gage de succès.

Dans les jours précédents le vote présidenti­el aux ÉtatsUnis l’an dernier, une recension indiquait que quelque 178 millions d’utilisateu­rs Instagram avaient été en contact avec des photos d’Hillary Clinton, contre 27 millions pour Donald Trump…

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Valérie Plante s’est faite présente sur les réseaux sociaux tout au long de la campagne. Elle a aussi obtenu de la visibilité de la part d’un influenceu­r surtout actif sur Instagram.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Valérie Plante s’est faite présente sur les réseaux sociaux tout au long de la campagne. Elle a aussi obtenu de la visibilité de la part d’un influenceu­r surtout actif sur Instagram.

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