Le Devoir

Diversité Les minorités visibles, invisibles à l’Hôtel de Ville de Montréal

À Montréal, le nombre d’élus issus de la diversité est peu représenta­tif de la population

- LISA-MARIE GERVAIS

Avec aussi peu d’élus se disant issus de minorités visibles et ethniques, la diversité ne se reflète pas à Montréal, encore moins au Québec. Pourquoi la métropole, si cosmopolit­e, peine-t-elle encore à attirer des immigrés ? Le Devoir a rencontré trois élus montréalai­s qui en ont long à dire sur le sujet.

On les appelle les minorités visibles, mais elles sont pourtant presque invisibles dans le lot d’élus au Québec. Le ministère des Affaires municipale­s et de l’Occupation du territoire ne tient même pas de données statistiqu­es là-dessus, selon ce qu’a appris Le Devoir.À Montréal, sur 103 élus, il y en a désormais 21 qui représente­nt cette diversité — minorités visibles (6), minorités ethniques (14) et handicapés (1) —, soit 5 de plus qu’aux dernières élections.

On ne fracasse aucun record ici, croit Nathalie Pierre-Antoine, une élue montréalai­se d’origine haïtienne. Elle croyait pourtant que la métropole, qui compte 34% de minorités visibles, allait faire mieux. «On est quand même en 2017», dit celle qui a été élue pour un second mandat dans l’arrondisse­ment de Rivière-des-Prairies–Pointe-auxTremble­s pour l’Équipe Denis Coderre.

Ce n’est pourtant pas parce que les électeurs ne sont pas prêts, croit-elle. «La preuve, je suis élue », a-t-elle lancé en riant, citant les exemples de Cathy Wong, d’Abdelhaq Sari, de Marie-Josée Parent, qui se dit d’origine autochtone.

Oui, c’est possible

Immigré du Maroc à l’âge d’un an, Younes Boukala, élu conseiller d’arrondisse­ment à Lachine pour Projet Montréal, s’est dit la même chose. Pour le Québécois de 22 ans, musulman et d’origine berbère marocaine, la seule façon de changer les choses était de plonger luimême. «Les gens me disaient: “Tu as juste 22 ans et tu te présentes ?” Et moi, je leur disais : “Mais ça prend quoi pour se présenter? Plein de diplômes et un certain âge?” Il faut juste oser.»

Sur le Plateau Mont-Royal, les habitants du district De Lorimier ont également accueilli à bras ouverts Josefina Bianco, élue pour Projet Montréal comme conseillèr­e d’arrondisse­ment. «Ça ne fait même pas deux ans que je suis Canadienne et j’ai été élue», s’est réjouie la jeune mère italo-argentine, qui vit au Québec depuis sept ans.

Lors de son porte-à-porte, les habitants du quartier n’ont pas manqué de souligner son petit accent espagnol chantant et lui posaient des questions sur ses origines et ses motivation­s. «Mais j’ai toujours eu un accueil magnifique», dit-elle, consciente que les choses n’auraient peut-être pas été aussi simples dans un autre arrondisse­ment. « La réponse était positive, que ce soit des femmes immigrante­s, qui étaient très fières, ou des Québécois. »

Discrimina­tion positive?

Mais alors, pourquoi si peu de diversité? D’emblée, il n’y a pas lieu de jeter la pierre aux partis, qui ont fait de grands efforts de recrutemen­t, constate Mme Pierre-Antoine. N’empêche: sur 298 candidats qui se présentaie­nt cette année, 43 (14%) ont dit appartenir à une minorité visible, ce qui est loin des 34 % de minorités visibles recensées dans la métropole. Toutefois, en tenant compte de ceux qui se déclarent «minorité ethnique» (43 personnes également), ils ont été au total 86 candidats issus de la diversité à se présenter aux élections de dimanche dernier. Sur ce plan, avec 23% de minorités visibles dans son équipe, Projet Montréal a fait un peu mieux qu’Équipe Denis Coderre, qui n’en avait que 19%.

Faut-il obliger les partis à la discrimina­tion positive ? «Il faudrait peut-être une formule pour qu’on soit mieux représenté­s dans les candidatur­es, mais le choix final appartient aux électeurs», soutient Mme Bianco. Elle préfère croire en l’émulation et en une « vraie » mobilisati­on citoyenne. Mme Pierre-Antoine est du même avis. «Il y a du pour et du contre concernant les quotas, et c’est vrai que c’est quand on oblige que les choses finissent par arriver plus concrèteme­nt. Mais personnell­ement, je crois qu’il est toujours mieux de sensibilis­er avant. »

Intéresser les immigrants

Pour avoir plus de candidats et d’élus issus de la diversité, encore faudrait-il qu’ils aient un intérêt se présenter. «Comme nouvel arrivant, avant de s’impliquer dans la vie politique, on est “en mode” subsistanc­e. On cherche à se loger, se nourrir, à travailler; l’implicatio­n politique n’est pas une priorité», rappelle Mme Bianco, qui a une formation en travail social. «Il y a aussi des immigrants qui viennent de pays aux histoires politiques très difficiles. Pour croire à nouveau en la politique, ça peut leur prendre du temps», ajoute-t-elle, évoquant le passé dictatoria­l peu reluisant de son pays d’origine.

Avec sa monarchie, le Maroc n’a pas non plus une grande tradition démocratiq­ue, souligne Younes Boukala. «Là-bas, on ne se pose pas de questions. C’est le roi qui décide», dit-il. Il a parfois senti une désillusio­n de la politique de certains de ses concitoyen­s de Lachine. « Des [personnes issues de] minorités ethniques me disaient “tu vas être un vendu toi aussi”», raconte-t-il. Il leur répondait aussitôt: «Je veux juste vous dire une chose, ce serait quoi mon intérêt à aller en politique à 22 ans? Mes parents ont beaucoup souffert pour que je puisse réussir et je veux donner cette même chance de réussite aux autres», se rappelle-t-il. «Neuf fois sur dix, leur approche changeait. »

Voter sans citoyennet­é

Et si on l’enlevait l’exigence de citoyennet­é pour encourager les gens à aller voter au municipal? N’y aurait-il pas plus de nouveaux arrivants et de gens d’origines diverses en politique active ? La chose mérite qu’on se penche dessus, lance Josefina Bianco. «Il faudrait voir de façon précise avec quel statut on autorisera­it le vote, mais c’est vrai que pour quelqu’un qui vit ici, qui paye ses taxes dans la ville, qui a des enfants à l’école et contribue à son quartier, pourquoi pas? Ça enracinera­it davantage les gens.» Younes Boukala abonde dans le même sens. Après tout, les statistiqu­es montrent que plus un individu commence à voter à un jeune âge, plus les chances sont grandes qu’il revote et s’intéresse à la politique. «Et on aurait au moins une chance de diminuer le faible taux de participat­ion au municipal.»

 ?? MICHAËL MONNIER LE DEVOIR ?? Sur 298 candidats qui se présentaie­nt cette année, 43 (14%) ont dit appartenir à une minorité visible, ce qui est loin des 34% de minorités visibles recensées dans la métropole.
MICHAËL MONNIER LE DEVOIR Sur 298 candidats qui se présentaie­nt cette année, 43 (14%) ont dit appartenir à une minorité visible, ce qui est loin des 34% de minorités visibles recensées dans la métropole.

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