Trois questions à un expert
Comment contrer la « loi du secret » de l’évitement fiscal ?
La fuite de documents des Paradise Papers a dévoilé la semaine passée les méthodes d’optimisation fiscale de nombreuses multinationales et de dizaines de grandes fortunes mondiales. Particuliers et entreprises ont ainsi eu recours à des paradis fiscaux dans lesquels ils ont placé des actifs. Une solution souvent utilisée pour éviter de payer des impôts trop élevés tout en bénéficiant de la «loi du secret» offerte dans certains pays.
Pour mieux comprendre comment les sociétés luttent contre l’évasion fiscale, notre journaliste Éric Desrosiers a posé quelques questions à Jean-Pierre Vidal, expert en fiscalité internationale à HEC Montréal. Voici des extraits de l’entrevue.
Quelles sont les initiatives mises en place pour contrer l’évitement fiscal? Le Canada contribue-t-il à lutter contre ce problème?
Ce n’est pas faute de volonté [des pays] ou de loi non plus, mais c’est plus souvent faute de preuves [pour mettre fin à de telles pratiques]. [La raison principale étant] la loi du secret. Et comment faire pour briser cette loi du secret ? Il faut que tous les pays se mettent ensemble. C’est ce qu’ils ont fait: les premiers résultats [ont pris la forme] de modèles d’accords d’échanges de renseignements fiscaux en 2002. Le Canada en a signé entre 2009 et 2017 […] Il a un rôle très important dans l’OCDE. On veut [avec ces accords] aller chercher l’information pour trouver les coupables, [mettre la main] sur les gens qui font de la fraude, c’est à ça que ça sert.
Il existe donc les échanges sur demande [entre gouvernements] et il y a les échanges d’informations financières automatiques [qui ont débuté] en août 2017, et [auxquels 49 pays participent]. L’année prochaine 53 pays s’ajouteront.
Des règles sont mises en place [à travers le monde] et il faut ensuite les opérationnaliser. Mais ça peut prendre du temps, car il faut savoir quoi faire. Ce sont des quantités d’informations gigantesques [qui s’échangent entre les pays]. Il va y avoir une période d’adaptation importante puisque […] ça prend beaucoup de personnel, des logiciels pour trouver [les fraudeurs] et des personnes qui vont vouloir enquêter. […] D’ici une vingtaine d’années, ça va probablement devenir quasiment impossible de cacher de l’argent sur la planète.
Est-ce que les gouvernements ont vraiment la volonté d’appliquer ces règles pour interrompre ces pratiques d’optimisation fiscale ?
À mon avis, c’est une priorité [pour les gouvernements] car en ce moment l’électorat est très sensible à [cette situation]. Le parti qui amène le plus de mesures convaincantes auprès du public [pour enrayer le problème] va être le parti qui va avoir le plus de votes.
Dans les faits, c’est un vrai tremblement de terre qui est en train de se produire dans le domaine fiscal, à l’échelle internationale. Oui, assurément, la volonté est là.
Est-ce que tout va se faire du jour au lendemain? Non, je crois qu’il y a une certaine prudence qui est de mise. Les gouvernements sont aussi prudents, car on [touche ici] aux questions de développement économique. Quand on a une entreprise X qui vient ouvrir une usine dans notre pays, on lui donne une subvention, on fait une conférence de presse et on coupe un ruban rouge, tout le monde est content. La fiscalité, c’est différent, car on ne peut pas [faire ça]. Pourtant, la mesure fiscale va avoir parfois encore plus d’impact que la subvention.
Pourquoi les sanctions ne sont-elles pas plus sévères envers les fraudeurs?
La fraude fiscale, on ne sait pas toujours si c’est une fraude. […] C’est très exigeant d’amener la preuve devant le tribunal que la personne avait l’intention de mentir [et de cacher volontairement de l’argent].
Parfois, l’Agence du revenu préfère faire une entente à l’amiable pour avoir quelque chose tout de suite […] plutôt que de se battre pendant dix ans et de dépenser une fortune en avocat [sans rien avoir en retour au bout du compte].