Un rempart contre l’atteinte au droit des femmes à l’égalité
Après cinq ans au Conseil du statut de la femme du Québec (CSF) à contribuer avec le professeur Henri Brun et la juriste Caroline Beauchamp à trois avis de nature juridique sur le droit des femmes à l’égalité par rapport à la liberté de religion, je ne souhaitais pas intervenir dans le débat sur le projet de loi 62 avant son adoption.
Maintenant que le projet de loi est sanctionné, comme juriste féministe, je souhaite contribuer au débat. Rappelons d’abord que les légistes du gouvernement ont repris dans la rédaction du projet de loi 62 plusieurs articles des projets de loi précédents, dont l’article 10 sur l’octroi et la réception des services à visage découvert. Cet article tire son origine du projet de loi 94 (art. 6) présenté en 2010 par la ministre de la Justice de l’époque, Mme Kathleen Veil. Rappelons aussi que ce même article était dans la «charte des valeurs», projet de loi 60, du gouvernement du Parti québécois présenté par le ministre responsable des Institutions démocratiques, M. Bernard Drainville.
Le CSF s’était déjà prononcé contre cet article dans son mémoire sur le projet de loi en 2010, et je réitère mon incompréhension et ma surprise devant la réapparition de ce texte dont la lettre et l’esprit ne tiennent pas la route.
Toutefois, on se saurait réduire la loi 62 à ce seul article. Heureusement, les légistes ont repris les articles importants sur la neutralité religieuse de l’État, l’égalité des femmes et les balises d’accommodements religieux du projet de loi 94 des libéraux et du projet de loi 60 des péquistes.
Excès de partisanerie
Au-delà de l’article 10 donc, l’opposition au projet de loi 62 me semble marquée par l’excès de partisanerie politique dont la société québécoise est victime depuis plusieurs années. Il y a aussi des personnes qui estiment que parce que la loi ne consacre pas la laïcité, autant ne pas adopter de loi sur l’obligation de neutralité religieuse de l’État, car cela ne va pas assez loin. Puisqu’on n’a pas la totale, mieux vaut ne rien avoir!
Permettez-moi de ne pas être d’accord. L’objet de cette loi est noble et est essentiel pour encadrer les accommodements religieux qui ont fait couler beaucoup d’encre et ont engendré de grandes dépenses publiques. Cette loi vient donner, pour la première fois, une autre assise juridique à la laïcité de fait en inscrivant la neutralité religieuse de l’État dans notre corpus législatif. La neutralité religieuse est un des principes de la laïcité qui n’apparaissait pas dans nos lois.
Comme l’expliquait le Conseil en 2010 dans son avis sur la laïcité : « La laïcité est donc un mode d’organisation entre ces principes: la liberté de conscience, la séparation de l’Église et de l’État, l’égalité entre les citoyennes et citoyens. »
Pour la première fois, une loi adoptée par nos représentantes et représentants démocratiquement élus consacre le principe de neutralité religieuse de l’État. Cette obligation est maintenant dans une loi et non plus seulement un principe jurisprudentiel, comme le faisait remarquer la Cour suprême du Canada dans la décision MLQ c. Saguenay en 2015.
La neutralité religieuse de l’État est définie ainsi par le plus haut tribunal : «L’obligation de neutralité religieuse de l’État résulte de l’interprétation évolutive de la liberté de conscience et de religion… L’État doit plutôt demeurer neutre à cet égard. Cette neutralité exige qu’il ne favorise ni ne défavorise aucune croyance, pas plus du reste que l’incroyance. Elle requiert de l’État qu’il s’abstienne de prendre position et évite ainsi d’adhérer à une croyance particulière.» C’est exactement ce qu’édicte la loi.
Jusqu’à ce jour, nous avions laissé aux juges le mandat de déduire et de définir l’obligation de neutralité religieuse de l’État. Cette anomalie démocratique est maintenant corrigée !
Deuxièmement, le fait que l’on impose aux membres du personnel du gouvernement une obligation d’agir conformément à l’obligation de neutralité religieuse durant l’exercice de leur fonction (art. 4) vient non seulement codifier l’arrêt de la Cour suprême dans MLQ c. Saguenay, mais le législateur reconnaît et affirme clairement que l’État s’exprime par ses employées et employés. Ces derniers ont une obligation de neutralité quand ils sont au travail. Ne nous trompons pas, nous sommes ici devant une évolution considérable du droit.
Troisièmement, pour la première fois une loi dicte de quelle manière, et avec quels critères, les accommodements religieux seront consentis.
Droit à l’égalité
L’article 11 de la loi énonce que le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes est obligatoirement un critère pour accorder ou refuser un accommodement religieux. Il me semble que c’est un des principes juridiques importants intégrés dans cette loi qui méritent d’être soulignés.
Dès maintenant, une institution publique, pas plus qu’une cour de justice ou un tribunal ne pourront accorder ou valider un accommodement religieux s’il porte atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes. La loi décrète une mesure originale, le test du droit à l’égalité des femmes, avant d’accorder un accommodement.
Rappelons que la Charte québécoise avait été modifiée à la demande du Conseil en 2008 pour s’assurer que l’égalité des femmes est protégée en toutes circonstances. La loi sur la neutralité religieuse exprime fortement de nouveau ce principe.
Nous avons le droit et le devoir de reconnaître que cette loi est ni plus ni moins la cristallisation juridique du droit des femmes par rapport à la liberté de religion et constitue un progrès déterminant pour l’atteinte d’une laïcité réelle en droit québécois.
En toute honnêteté intellectuelle, rendons à César ce qui revient à César, cette loi est une pièce sans précédent dans notre droit public et constitutionnel et qui mérite d’abandonner les réflexes d’opposition systématique au gouvernement en place.
L’opposition au projet de loi 62 me semble marquée par l’excès de partisanerie politique dont la société québécoise est victime depuis plusieurs années