La fleuriste écologique
Julie Richer a fondé Oursin fleurs en allant à l’encontre d’une industrie polluante
Le Québec regorge d’entrepreneurs passionnés qui tentent de mettre à profit une idée ou un concept novateurs. Chaque semaine, Le Devoir vous emmène à la rencontre de gens visionnaires, dont les ambitions pourraient transformer votre quotidien. Aujourd’hui, une fleuriste qui va à contre-courant d’une industrie plus polluante qu’il n’y paraît.
À41 ans, Julie Richer possède un bagage d’expérience hors du commun. Elle a amorcé sa carrière dans le monde du cinéma, a bifurqué vers le vin et se consacre désormais aux fleurs, «sa troisième vie». Mais en atterrissant un peu par hasard dans le monde de la fleuristerie, l’entrepreneure a décidé de faire les choses à sa façon. Après avoir passé quelques années à enchaîner les contrats dans l’univers des communications, Julie a décidé de devenir sommelière. Elle a fondé une entreprise de livraison de pique-niques offrant l’accord mets et vin et a enseigné la sommellerie pendant un peu plus de trois ans, jusqu’à ce que son cours soit aboli.
«Je me suis retrouvée au chômage et en questionnement existentiel», affirmet-elle. Après un périple dans le Grand Nord québécois et un passage à vide en raison d’une maladie, elle a trouvé du réconfort dans un entrepôt montréalais de fleurs écoresponsables.
Thérapie par les fleurs
«Je passais mes journées là, raconte-t-elle en souriant. Il n’y avait pas encore d’entreprise. Je ne pensais même pas qu’il y en aurait une. C’était une thérapie par les fleurs. » En s’intéressant au mouvement «Slow Flower»
qui prend racine depuis quelques années aux États-Unis, elle a été charmée par cette nouvelle façon de faire de la fleuristerie, dans le respect de l’environnement et des travailleurs.
«En creusant, j’ai découvert tous les dégâts causés par la fleuristerie traditionnelle, expliquet-elle en évoquant le transport des fleurs depuis l’Amérique du Sud ou l’Europe, l’usage de pesticides néfastes pour l’environnement et les travailleurs, et le suremballage. C’est une industrie hyperpolluante et les gens ne le savent pas parce qu’ils se disent que ce sont des fleurs, que ça vient de la terre et que c’est beau.»
« Pour moi, un frigo plein de fleurs qu’on jette à la fin de la semaine pour le remplir à nouveau, ce n’est pas logique. »
Bouquets sur demande
La réponse de Julie a été de lancer au début de l’année 2017 Oursin fleurs, une entreprise qui livre des bouquets de fleurs locales et de saison, en limitant ses pertes et l’impact sur l’environnement.
Du mercredi au vendredi, elle présente son bouquet du jour en matinée sur les réseaux sociaux, à la manière d’un restaurant qui change son menu quotidiennement selon les aliments disponibles. Les clients ont jusqu’à 13h pour effectuer leur commande, qui leur est acheminée la journée même. La livraison se fait dans les quartiers centraux de Montréal, à vélo ou en voiture électrique.
Dans son atelier situé dans un ancien immeuble industriel du quartier Hochelaga-Maisonneuve, l’entrepreneure fait tout le travail à la main: l’assemblage des fleurs, dont au moins 80% proviennent du Canada, l’emballage dans un papier compostable et la rédaction d’une note d’accompagnement dactylographiée. Ici, pas de teinture, pas de tube de plastique jetable et pas de ruban.
L’entreprise peut actuellement produire un maximum de dix bouquets par jour et vise une capacité de trente prochainement. Sa fondatrice n’exclut pas d’ouvrir d’autres points de service dans l’avenir, mais elle ne veut pas aller trop vite. « Je veux bien faire ce qu’on fait avant de prendre de l’expansion. »
Changement de mentalité
Oursin fleurs est une compagnie artisanale et elle le restera, jure Julie Richer. Mais à mesure qu’elle convainc de nouveaux clients, elle contribue à faire découvrir une manière différente de cultiver, d’assembler et de vendre des fleurs. «Ça doit faire cinq personnes qui me disent qu’elles n’achetaient plus de fleurs, mais qui ont changé d’idée en découvrant mon entreprise », dit-elle fièrement.
«Quand j’ai commencé dans le vin, les gens riaient de moi avec mon vin bio. Maintenant, c’est à la mode, illustre-t-elle. Je pense que ça va faire la même chose avec les fleurs. »
Au milieu de son local baigné de lumière, dont l’immense fenêtre carrelée donne directement sur un chemin de fer — «j’adore les trains », glisse-t-elle —, Julie Richer est visible-
ment heureuse. De quoi prouver à ceux qui en doutent qu’il est possible de se lancer en affaires au début de la quarantaine pour faire ce qu’on aime.
«C’est sûr que c’est insécurisant. Je n’ai pas de fonds de retraite et il y en a qui trouvent que je suis un peu folle de lancer quelque chose à l’âge que j’ai, admet-elle. Je voulais le faire pour donner un sens à ma vie. Je sais que ça a l’air con, parce que ce sont juste des fleurs, mais c’est ça, la beauté d’une entreprise. Ça permet de travailler selon ses valeurs.»
Elle est donc persuadée que cette «troisième vie» sera aussi sa dernière.
Voir aussi › La vidéo de Julie Richer sur toutes les plateformes numériques du Devoir.