Le Devoir

Que reste-t-il des Caraïbes ?

Où peut-on aller sans craindre de trébucher sur le tronc d’un palmier arraché sur une plage du bassin caribéen ? Tour du jardin, fût-il déraciné.

- GARY LAWRENCE

De mémoire d’homme du voyage, Sam Char n’a jamais vu ça en 30 ans de carrière: trois ouragans à la queue leu leu, dans un très court laps de temps, et pas que des petits. «C’est surtout la violence et la durée d’Irma et de Maria qui ont fait toute la différence cette année», explique le directeur général pour le Québec du Groupe Sunwing, l’un des plus gros joueurs de l’industrie canadienne du voyage.

Tellement forts, ces ouragans, qu’ils ont fait oublier Franklin, Gert et surtout leur grand frère Harvey, bien que ce dernier ait littéralem­ent noyé une partie du Texas et de la Louisiane sous 27 billions de gallons de pluie.

Tellement forts qu’on en a presque oublié la dévastatri­ce saison 2005, celle-là même où l’irascible Katrina avait fait sauter les digues de La Nouvelle-Orléans.

Tellement forts, en fait, que les voyagistes québécois ont dû abandonner une destinatio­n — Saint-Martin — pour toute une saison. « Ça aussi, c’est du jamais vu pour moi, tout comme le nombre incroyable de vols de rapatrieme­nt », explique Debbie Cabana, directrice du marketing de Transat Tours Canada.

Tout aussi fortes furent les images de dévastatio­n relayées à écran que veux-tu sur les réseaux sociaux. De telle sorte qu’alors que le froid s’installe petit à petit au Québec, bien des vacanciers demeurent plutôt frileux quant à leurs intentions de pérégriner vers le Sud.

Retour progressif à la normale

Pourtant, la saison des vacances fait graduellem­ent son nid. «Au moment où on se parle, la situation est déjà revenue à la normale chez nous hormis pour Saint-Martin, que nous offrirons de nouveau en mai 2018», dit Sam Char.

Chez Vacances Air Canada, c’est presque le même constat. «Nous avons cependant suspendu les vols vers Porto Rico, qui étaient destinés à 97% au marché des croisières, et à Cuba, nous avons repoussé à Noël le début de la saison à Cayo Santa Maria et à Cayo Coco», explique Guy Marchand, chef de service principal des ventes de ce voyagiste.

Pour sa première saison à Porto Rico, Transat prévoit cependant de reprendre ses vols — essentiell­ement pour des croisières, ici aussi —, mais à compter du 18 février. À cet égard, les départs des navires de la plupart des voyagistes ont peu ou prou changé puisque plusieurs ports d’attache ont été peu affectés.

En fait, seuls certains itinéraire­s ont été redessinés, surtout dans la partie est des Caraïbes, plus touchée. Outre Porto Rico, des escales à Saint-Martin, Saint-Barthélémy, Tortola (îles Vierges britanniqu­es), St. Thomas et St. John (îles Vierges américaine­s) ainsi qu’aux îles Turks et Caïcos ont ainsi été supprimées ou retardées. Quant aux hôtels et aux complexes de villégiatu­re, certains se sont vite remis des vents violents, d’autres travaillen­t encore à réparer les dégâts.

Toujours aux îles Turks et Caïcos, le Beaches rouvrira ainsi en décembre et le Club Med, à la fin de janvier, tous deux ayant subi les assauts d’Irma et de Maria. Dans le pourtour des Caraïbes, en Floride, les Keys ont elles aussi été touchées par Irma, et certaines parties de l’ouest de ces confettis d’îles sont encore lourdement affectées. Néanmoins, même si des établissem­ents demeureron­t fermés jusqu’au printemps, 90% des hôtels ont rouvert leurs portes à ce jour.

Pas que des désavantag­es

Cela dit, la situation est moins pire qu’il n’y

paraît. «En 2005, lors du passage de Katrina et des autres ouragans, nous étions moins organisés et nous disposions d’une moins bonne structure de communicat­ion. Cette année, nous avons suivi l’évolution de la situation en direct et les hôteliers ont eu plus de temps pour se préparer, ce qui a minimisé les bris», poursuit Guy Marchand.

À quelque chose malheur est même bon car, à Cuba, on a profité des récents «nettoyages climatique­s» pour rénover plusieurs hôtels (voir, dans Le Devoir du 4 novembre, le texte « Cuba après Irma »). Mieux : si les ouragans peuvent emporter avec eux des tombereaux de sable loin des plages, ils peuvent aussi en extirper des tonnes du fond des océans et les rejeter hors des eaux. « À Cuba, c’est ce qui est arrivé dans les cayos, où certaines plages sont plus belles que jamais: il y en a qui se sont même élargies de huit mètres de nouveau sable!» assure Debbie Cabana, qui s’est rendue sur place.

Peu de rabais à l’horizon 2018

Contrairem­ent à ce qu’on serait porté à penser, et en dépit des hôtels affectés ou de l’offre amoindrie de certaines destinatio­ns, il ne devrait pas y avoir pénurie de vols ou de chambres au cours de l’hiver qui s’annonce. «Chez nous, la capacité sera la même: nous sommes déjà de retour à Cuba et les gens reprennent confiance et recommence­nt à réserver, surtout pour les Fêtes et audelà, lorsque les risques d’ouragan seront évacués», indique Debbie Cabana.

En revanche, plus on avancera dans la saison, moins il y aura de chances d’obtenir des rabais de dernière minute, assure-t-on chez Vacances Air Canada et chez Sunwing. D’autant plus qu’aux NordAméric­ains s’ajoute désormais une clientèle qui fréquentai­t les Caraïbes davantage l’été autrefois.

«Depuis trois ans, à cause de la menace terroriste en Europe, un nombre croissant d’Européens mettent le cap sur les Caraïbes pour leurs vacances d’hiver. Et puisque leurs vols sont plus longs, ils demeurent plus longtemps [jusqu’à 14 jours] et monopolise­nt souvent les meilleures chambres», constate Sam Char. Bref, pour ne pas se retrouver le bec à l’eau ou avec des miettes hôtelières, mieux vaut ne pas attendre trop longtemps pour réserver, assurent les voyagistes à l’unisson.

Qu’en est-il de l’avenir?

Peut-on imaginer qu’avec des ouragans qui tendent à devenir plus puissants d’année en année les voyagistes vont envisager d’autres destinatio­ns, jugées moins «à risque» parce que situées en deçà de la trajectoir­e habituelle de ces tempêtes monstrueus­es? Il semble que non. «Le triangle Cuba-République dominicain­e Mexique demeure gagnant pour les prix et la proximité du marché québécois. Les gens sont habitués d’y aller depuis 3040 ans, les tarifs sont plus abordables et la capacité hôtelière plus importante», résume Sam Char.

Il ne reste plus qu’à espérer que la saison des ouragans, qui se termine vers la fin du mois de novembre, n’apportera pas d’autres mauvaises surprises. Des surprises auxquelles on a déjà trouvé des prénoms (Rina, Sean, Tammy, Vince et Whitney) qu’on souhaite ne pas avoir à prononcer sous peu…

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GARY LAWRENCE Une des splendides plages de l’archipel de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, une destinatio­n qui n’a pas été touchée par les ouragans, cet automne.
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GARY LAWRENCE L’île d’Aruba est plus connue pour la vélocité de ses vents que pour la férocité des ouragans: située à 25km des côtes vénézuélie­nnes, elle figure sous la trajectoir­e habituelle des mégatempêt­es.
 ?? GARY LAWRENCE ?? L’architectu­re de la capitale d’Aruba, Oranjestad, trahit les origines néerlandai­ses de la ville et de l’île où elle est située.
GARY LAWRENCE L’architectu­re de la capitale d’Aruba, Oranjestad, trahit les origines néerlandai­ses de la ville et de l’île où elle est située.
 ?? GARY LAWRENCE ?? Dans la plupart des destinatio­ns sud offertes par les voyagistes québécois, le retour à la normale prévalait au début de novembre.
GARY LAWRENCE Dans la plupart des destinatio­ns sud offertes par les voyagistes québécois, le retour à la normale prévalait au début de novembre.
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GARY LAWRENCE Young Island, Saint-Vincent-et-les-Grenadines

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