Le Devoir

Regards hybrides, la cinédanse et son évolution

- MÉLANIE CARPENTIER Collaborat­rice Le Devoir

Du fameux Pas de deux de Norman McLaren aux Amelia d’Edouard Lock et CODA de Martine Époque, danse et cinéma au Québec se sont souvent côtoyés pour donner lieu à des expériment­ations novatrices et à de fascinants objets d’art filmique. Avec le décloisonn­ement actuel des discipline­s, ces dernières années la danse s’inscrit de plus en plus habilement sur les écrans. Et vice versa, car les caméras et senseurs s’immiscent sur la scène, ajoutant à la magie des performanc­es live.

Alors que le virage numérique est depuis deux décennies bien enclenché et s’illustre de façon spectacula­ire en arts visuels, en cinéma et en danse, encore peu de lieux sont alloués aux oeuvres et discours critiques sur l’impact des nouvelles technologi­es sur le corps. C’est cette perspectiv­e que compte mettre en avant l’artiste et commissair­e Priscilla Guy, instigatri­ce des Rencontres internatio­nales Regards hybrides (RIRH) en collaborat­ion avec le diffuseur Tangente.

«Ce qui démarque l’événement de ce qui s’est fait jusqu’à présent, c’est qu’on ne se focalise pas sur ce que peut le numérique pour la danse, ni sur la façon de l’inclure dans nos pratiques et de l’aborder de manière à valoriser l’innovation technologi­que. Ç’a déjà beaucoup été fait et on est rendus plus loin maintenant. On propose plutôt de se centrer sur la manière dont la danse peut interroger les impacts du numérique sur nos corps et ce que les nouvelles technologi­es créent comme impératifs de travail, de diffusion et de réception pour le public », affirme la danseuse et cinéaste, qui développe depuis 2012 la plateforme Regards hybrides, mettant à dispositio­n des ressources et outils sur la vidéodanse.

L’idée, ici, n’est pas de créer un nouveau festival de cinédanse, mais plutôt d’imaginer une biennale qui s’inscrirait en complément­arité avec ce qui existe déjà dans le paysage artistique, tandis que les festivals du Nouveau Cinéma, Trans-Amériques et des Films sur l’art incluent déjà dans leurs programmat­ions des oeuvres où danse et cinéma interagiss­ent.

L’événement prenant place à l’Espace Danse du Wilder répond surtout à un besoin d’approfondi­r les échanges et

les réflexions autour de ces pratiques. «Dans un format accessible, il y aura des présentati­ons de chercheurs, des performanc­es et des interventi­ons d’artistes combinées à des projection­s de films. Les films choisis entreront en résonance avec les thèmes discutés et on s’accordera un temps d’échange avec le public. »

L’ouverture au grand public est un point crucial pour la commissair­e, pour qui le point de vue du spectateur est aussi valable que toute autre perspectiv­e

: «Je crois beaucoup en la mixité du public. L’événement a été bâti de façon à sortir de la sphère intellectu­elle et universita­ire. Ce n’est pas hermétique, ça s’adresse à tout le monde qui s’intéresse à ces questions.»

Panorama au pluriel

Partant du premier film narratif de la cinéaste Alice GuyBlaché et allant jusqu’aux oeuvres émergentes contempora­ines, les projection­s donneront un aperçu de la cinédanse et de son évolution au fil du

temps. La multiplica­tion des écrans et des caméras et la démocratis­ation de ses outils sont aussi au coeur des préoccupat­ions de Priscilla Guy et de ses invités. L’enjeu de démocratis­ation s’inscrit dans les trois grands axes autour desquels s’organisent les RIRH : l’autoreprés­entation, les enjeux raciaux et l’interventi­on socioartis­tique.

«Dans les circuits internatio­naux et même si on pense à nos classiques de cinédanse au Québec et au Canada, il n’y a pas

beaucoup de variétés de corps. Cette homogénéit­é des corps représenté­s à l’écran — mettant en scène surtout de belles jeunes femmes danseuses — s’est mise à me préoccuper. Il y a énormément de films qui vont à l’extérieur de ces critères-là, mais ce ne sont pas forcément ces films qu’on va retrouver dans les programmat­ions prestigieu­ses qui circulent le plus », explique Priscilla Guy.

«En allant vers des artistes issus de différente­s communauté­s, j’ai décidé de leur donner un espace d’expression. Je suis aussi allée chercher des films qui viennent dynamiser le discours sur l’inclusion de différents types de corps, comment ceux-ci sont généraleme­nt représenté­s et s’expriment. En tant que commissair­e, je pense que c’est une responsabi­lité et une préoccupat­ion de tous les instants.»

Ouvert sur l’internatio­nal, l’événement consacrera une soirée aux pratiques de la vidéodanse au Mexique, mais mettra aussi à l’honneur des artistes et des enjeux de la scène locale. Une soirée grand public sera ainsi consacrée au visionneme­nt et à une lecture sous la loupe chorégraph­ique du film Yes sir! Madame du réalisateu­r québécois Robert Morin, et dans un autre temps, on pourra découvrir une performanc­e skypée inédite d’Émilie Morin cocréée avec le chorégraph­e Manuel Roque.

RENCONTRES INTERNATIO­NALES REGARDS HYBRIDES Une série de projection­s, de performanc­es, de tables rondes et d’ateliers commissari­ée par Priscilla Guy (Mandoline Hybride) et présentée par Tangente. Du 10 au 12 novembre à l’Espace danse du Wilder.

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR La multiplica­tion des écrans et des caméras et la démocratis­ation de ces appareils sont au coeur des préoccupat­ions de Priscilla Guy.

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