Un Yorgos Lanthimos glacial, terrifiant et désincarné
MISE À MORT DU CERF SACRÉ (V.F. THE KILLING DE SACRED DEER) OF A ★★★
Thriller de Yorgos Lanthimos. Avec Colin Farrell, Nicole Kidman, Barry Keoghan, Alicia Silverstone, Raffey Cassidy. Grèce, États-Unis, Royaume-Uni, 2017, 121 minutes.
Si un cinéaste parvient à imposer sa griffe sur les diktats des grosses productions internationales, c’est bien le Grec Yorgos Lanthimos. Très remarqué en 2009 avec Canine (dans sa langue maternelle), transplanté en anglais avec stars planétaires dans l’inquiétant et puissamment original The Lobster, il pose ce même humour noir avec embardées fantastiques sur The Killing of a Sacred Deer. Moins percutant et atypique que The Lobster, ce film invite encore au sabordement de la bourgeoisie par des justiciers issus des couches populaires.
Coiffé du Prix du scénario au dernier Festival de Cannes, ce film, qui donne la vedette à Nicole Kidman et Colin Farrell (son acteur fétiche), explore, comme dans Canine, mais en moins fin et avec de plus gros moyens de production, le noyau de la famille, épicentre de toutes les relations troubles. S’affrontent sous sa palette le sentiment de culpabilité, le désir de vengeance, le syndrome de Stockholm et l’esprit sacrificiel, créant les mises en abîme.
La virtuosité de sa mise en scène, sur ruptures de tons, entre opération à coeur ouvert et fusillade finale, décline sa cruauté en chargeant les pièces de la demeure familiale de dégager l’émotion que les personnages refoulent. La tragédie, surtout en huis clos, s’inspire
La tragédie, surtout en huis clos, s’inspire du mythe d’Iphigénie, alors qu’une mère doit sacrifier un de ses enfants
du mythe d’Iphigénie, alors qu’une mère doit sacrifier un de ses enfants, et Nicole Kidman s’y fait prêtresse glacée et immanente. Si le film s’enfarge dans son mécanisme trop bien huilé, les interprètes n’y sont pour rien, jouant la note réclamée avec énergie et mystère.
Place à l’histoire d’un chirurgien (Farrell, excellent) prenant sous son aile un adolescent (Barry Keoghan, merveilleux d’ambiguïté perverse) après que, en état d’ébriété, il eut opéré (et tué) son père. Voici le loup dans la bergerie, puisque le garçon, intrus vengeur, contre-figure du Teorema de Pasolini, doté de pouvoirs magiques, peut paralyser les enfants de la famille, avec leur consentement ou pas, sinon les exterminer.
L’horreur s’invite dans la petite famille cossue où les adultes ne sont jamais aussi blancs qu’on le pense. Lanthimos a misé sur la distanciation du jeu des acteurs, jusque dans les scènes les plus tragiques, créant une théâtralité déconcertante, alors que la sexualité, l’épouvante, la peur et la post-humanité, sans affects ou presque, surfent sur une musique de Fauré. The Killing of a Sacred Deer aborde des thèmes arpentés par Michael Haneke, en miroir d’une apocalypse déshumanisée, ici en fable féroce, avec moins de substance que son confrère autrichien, mais des grincements de porte annonciateurs des pires lendemains, qui tétanisent le spectateur sur son siège.