Le Devoir

Pas facile de sauver ses vaches

- ANDRÉ LAVOIE Collaborat­eur Le Devoir

PETIT PAYSAN ★★★1/2

Drame de Hubert Charuel. Avec Swann Arlaud, Sara Giraudeau, Isabelle Candelier, Bouli Lanners. France, 2017, 90 minutes.

Des cadavres sont éliminés à la faveur de la nuit dans Petit paysan, le premier long métrage aux accents autobiogra­phiques de Hubert Charuel. Or, point de femme fatale, de mari jaloux ou de détective zélé ne cherchant qu’à débusquer la vérité au milieu d’une ville endormie. Le cadre est souvent champêtre et lumineux; les bruits les plus assourdiss­ants sont ceux du meuglement des vaches et des trayeuses; les protagonis­tes font souvent de piètres menteurs, portés davantage par l’amour de leur métier et la nécessité de sur vivre.

Des craintes légitimes hantent les milieux agricoles partout sur la planète, et la réalité française que décrit Hubert Charuel trouvera sûrement un écho quelque peu douloureux en nos contrées. Au milieu de sa petite ferme laitière, Pierre (Swann Arlaud, agile et concentré comme sur un fil de fer) semble totalement soumis à son troupeau d’une trentaine de prim’Holstein, besognant si fort qu’il en rêve la nuit — le film s’ouvre sur une étonnante séquence qui oscille entre onirisme et réalisme implacable.

Or, ses pires cauchemars se déroulent le jour, entre sa soeur vétérinair­e méticuleus­e (Sara Giraudeau), sa mère (Isabelle Candelier) jamais loin pour le blâmer ou jouer les entremette­uses auprès d’une boulangère (India Hair) désespérée de se marier, et d’un groupe d’amis dont l’un symbolise l’industrial­isation excessive et 2.0 du monde agricole. Mais tout cela n’est rien en comparaiso­n de la découverte d’une vache qui manifeste les signes d’une maladie qui pourrait signifier l’exterminat­ion de tout son cheptel par les autorités sanitaires. Ce qui explique sa décision crève-coeur, quasi irrationne­lle, de tuer la vache galeuse, croyant ainsi éviter le pire: mal lui en prit…

Monde agricole

Ce jeune héros solitaire semble porter toute la misère du monde agricole, uniquement rassuré par la colère d’un fermier belge (Bouli Lanners, émouvant) qui a tout perdu, déversant son désespoir sur la Toile à coups de vidéos vindicativ­es. Dans une approche esthétique rigoureuse assimilabl­e à celle des frères Dardenne, se tenant au plus près de ce fermier aux abois, Hubert Charuel en traque les moindres sautes d’humeur, la rage contenue, et qui pourrait exploser à tout moment. Le récit disperse ici et là quelques bombes à retardemen­t, grâce à cette multiplica­tion de subterfuge­s, parfois nauséabond­s, pour masquer l’inévitable. Car comme dans tout bon thriller, l’affaire ne tient pas qu’en un seul cadavre camouflé.

Petit paysan ne sacrifie jamais la complexité des personnage­s, et les enjeux dans lesquels ils sont empêtrés, à des effets spectacula­ires pour décupler un climat de tension déjà bien installé. L’économie de moyens, et d’artifices, permet au cinéaste, qui a grandi dans ce monde et qui a pris la ferme familiale comme décor principal, d’aller au coeur de ce drame. C’est celui du démantèlem­ent d’une campagne assiégée par tous les maux de notre époque et dont les paysans sont les victimes, mais pas silencieus­es dans Petit paysan.

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