Entre fleuve et petits oiseaux
Sylvie Nicolas ressuscite les fragments d’une histoire familiale décousue
Portée par la marée du souvenir qui monte en elle, une « Fille » s’exprime afin de visiter la mémoire de sa mère et de la faire sienne à l’issue d’un travail de remémoration à la chronologie floue, de visions qui surgissent pêle-mêle et d’envolées poétiques.
Quatorzième enfant de la famille, petite dernière née dans l’Ouest canadien, la mère de la « narratrice-écrivaine » a été envoyée très vite près de Matane, dans le Bas-du-Fleuve, «sur L’île», pour y vivre avec ses grands-parents. Ses souvenirs semblent se cristalliser autour du cri lancé par une voisine sourde qui appelait ses enfants à l’heure du souper.
Nourrie des légendes familiales surgies des années 1930 et 1940, d’épisodes du temps «de l’exode des Gaspésiens», par les racontars de son grandpère barbier qui avait vécu à Boston et des rumeurs de sous-marins allemands sillonnant les côtes de la Gaspésie lors de la Seconde Guerre mondiale, la Fille accumule les tentatives de faire revivre ce passé évanoui.
Porté par l’écriture plutôt que par le récit, Le cri de la sourde de Sylvie Nicolas, surtout traductrice et poète (À quatre doigts d’Edward Stachura, Les variations Burroughs), met ainsi bout à bout les histoires pleines de trous d’une narratrice-écrivaine qui se tutoie tout au long du roman et déploie une sorte de quête des origines. Sachant bien sûr que « les paroles restées en dormance possèdent un élan clandestin assez puissant pour forer le chemin de leur résurgence».
C’est aussi une tentative livresque de s’approprier un lieu et un droit de parole: «Tu n’as pas encore conscience que la souffrance du monde trouvera ancrage en toi, qu’elle s’y fraiera un sentier accidenté que tu remonteras inexorablement, toi, fille, femme, mère, éternelle itinérante; non, tu ne sais pas que les mots, égarés, perdus, tendus entre ciel et terre, constitueront le chemin te permettant de te rapprocher d’un territoire d’appartenance.»
Entre l’invention et la méditation, «entre le fleuve et les oiseaux » , Le cri de la sourde forme un magma narratif qui se complaît dans le maniérisme cérémonieux et les ressassements extatiques. Les jolies phrases et les envolées s’y succèdent sans vraiment former de récit.
À travers des réflexions sur le souvenir et l’oubli, «dans le maintenant du toujours» et le rythme des marées du fleuve Saint-Laurent, Sylvie Nicolas y accumule les « fragments épars de l’histoire des Surlilois ». Un peu indigeste.
LE CRI DE LA SOURDE ★★★
Sylvie Nicolas Druide Montréal, 2017, 272 pages