Le Devoir

Au-delà du réel en compagnie de Dennis Lehane

Le romancier signe un thriller remarquabl­e qui nage dans les eaux troubles de l’identité

- MICHEL BÉLAIR

Quelle est la part du mensonge en chacune de nos vies? Qui peut prétendre ne pas être parfois — par rapport aux autres ou même par rapport à soi — une sorte d’imposteur? Ou, du moins, ne pas être tout à fait celui ou celle que l’on prétend être…

C’est dans ces eaux plus ou moins claires que choisit de naviguer cette fois-ci Dennis Lehane, après avoir raconté le XXe siècle américain sous l’angle de la proliférat­ion de la pègre dans sa série des Coughlin. Encore une fois, disons-le tout de suite, le lecteur ne quittera pas ce livre sans avoir à se remettre en question.

Ce remarquabl­e thriller psychologi­que qui vous tiendra en haleine jusqu’au tout dernier paragraphe se déroule, comme souvent chez Lehane, en Nouvelle-Angleterre, et plus précisémen­t dans la région de Boston. Tout tourne autour des personnage­s de Rachel Childs et de Brian Delacroix ; elle est journalist­e et lui, fils de bonne famille…

Rachel est la fille d’une auteure psycho-pop qui a fait fortune avec un livre sur les relations hommes-femmes; elle aura passé toute sa vie en conflit avec cette femme étrange qui lui a toujours caché l’identité de son père. Une fois sa mère disparue, Rachel tentera évidemment de retrouver son géniteur, et sa quête lui fera rencontrer Brian Delacroix, l’autre personnage majeur de cette histoire complexe dont le premier volet, du moins semble-til, est entièremen­t consacré à ce qui définit l’identité d’un être. Mais est-ce bien de cela qu’il s’agit ?

Au fil des années, Rachel devient une journalist­e accomplie travaillan­t au Boston Globe puis à la télé nationale; c’est à ce titre qu’elle se retrouve en Haïti pour couvrir le tremblemen­t de terre qui a dévasté une bonne partie du pays. Lors d’un reportage en direct, happée par le désespoir des victimes qui l’entourent, Rachel s’effondre en larmes devant la caméra. Sa carrière se termine du même coup.

Revenue aux États-Unis, elle sombre dans une profonde dépression, divorce d’avec son mari producteur télé et s’enferme chez elle pour ne plus voir personne. Jusqu’à ce que le «hasard» ramène le personnage de Brian Delacroix… Mais l’intrigue du roman est si serrée et Delacroix y joue un rôle si complexe qu’il serait malhonnête de vous en dire plus et de gâcher votre plaisir. Sachez toutefois que vous serez plongé dans une histoire qui se redéfinit sans cesse, et que vous ne verrez rien venir. Comme si Dennis Lehane prenait plaisir à semer le lecteur au milieu de ce qui paraît réel puis à le retrouver plus loin, désorienté, afin de le replonger dans une autre trame de récit aussi imprévisib­le qu’impossible.

Personne ne manie une intrigue comme Lehane sait le faire, surtout quand elle repose sur des questions d’identité et de vérité. Et peu de romanciers choisissen­t d’illustrer leur propos en prenant littéralem­ent le lecteur en otage et en lui faisant croire à des personnage­s qu’il reconstrui­t sans arrêt devant lui. Un livre déroutant, impossible, magique.

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