Au-delà du réel en compagnie de Dennis Lehane
Le romancier signe un thriller remarquable qui nage dans les eaux troubles de l’identité
Quelle est la part du mensonge en chacune de nos vies? Qui peut prétendre ne pas être parfois — par rapport aux autres ou même par rapport à soi — une sorte d’imposteur? Ou, du moins, ne pas être tout à fait celui ou celle que l’on prétend être…
C’est dans ces eaux plus ou moins claires que choisit de naviguer cette fois-ci Dennis Lehane, après avoir raconté le XXe siècle américain sous l’angle de la prolifération de la pègre dans sa série des Coughlin. Encore une fois, disons-le tout de suite, le lecteur ne quittera pas ce livre sans avoir à se remettre en question.
Ce remarquable thriller psychologique qui vous tiendra en haleine jusqu’au tout dernier paragraphe se déroule, comme souvent chez Lehane, en Nouvelle-Angleterre, et plus précisément dans la région de Boston. Tout tourne autour des personnages de Rachel Childs et de Brian Delacroix ; elle est journaliste et lui, fils de bonne famille…
Rachel est la fille d’une auteure psycho-pop qui a fait fortune avec un livre sur les relations hommes-femmes; elle aura passé toute sa vie en conflit avec cette femme étrange qui lui a toujours caché l’identité de son père. Une fois sa mère disparue, Rachel tentera évidemment de retrouver son géniteur, et sa quête lui fera rencontrer Brian Delacroix, l’autre personnage majeur de cette histoire complexe dont le premier volet, du moins semble-til, est entièrement consacré à ce qui définit l’identité d’un être. Mais est-ce bien de cela qu’il s’agit ?
Au fil des années, Rachel devient une journaliste accomplie travaillant au Boston Globe puis à la télé nationale; c’est à ce titre qu’elle se retrouve en Haïti pour couvrir le tremblement de terre qui a dévasté une bonne partie du pays. Lors d’un reportage en direct, happée par le désespoir des victimes qui l’entourent, Rachel s’effondre en larmes devant la caméra. Sa carrière se termine du même coup.
Revenue aux États-Unis, elle sombre dans une profonde dépression, divorce d’avec son mari producteur télé et s’enferme chez elle pour ne plus voir personne. Jusqu’à ce que le «hasard» ramène le personnage de Brian Delacroix… Mais l’intrigue du roman est si serrée et Delacroix y joue un rôle si complexe qu’il serait malhonnête de vous en dire plus et de gâcher votre plaisir. Sachez toutefois que vous serez plongé dans une histoire qui se redéfinit sans cesse, et que vous ne verrez rien venir. Comme si Dennis Lehane prenait plaisir à semer le lecteur au milieu de ce qui paraît réel puis à le retrouver plus loin, désorienté, afin de le replonger dans une autre trame de récit aussi imprévisible qu’impossible.
Personne ne manie une intrigue comme Lehane sait le faire, surtout quand elle repose sur des questions d’identité et de vérité. Et peu de romanciers choisissent d’illustrer leur propos en prenant littéralement le lecteur en otage et en lui faisant croire à des personnages qu’il reconstruit sans arrêt devant lui. Un livre déroutant, impossible, magique.