Le Devoir

La Venise de Donna Leon en deux temps

La 25e enquête de Guido Brunetti s’écrit dans l’obsession du détail et la finesse des observatio­ns

- MICHEL BÉLAIR

Une amie a l’habitude de dire qu’ouvrir un livre de Donna Leon, c’est comme passer la porte et sortir faire une promenade dans Venise en se perdant dans le dédale des ponts et des canaux, d’un campo à l’autre. Tout doucement. En se gavant lentement de cette beauté aux reflets liquides que les mots arrivent mal à décrire… Dans cette 25e enquête du commissair­e Guido Brunetti, le lecteur ne pourra que constater encore une fois à quel point le charme opère toujours.

La magie opère après avoir lu vingt, trente ou cinquante pages. On se rend compte qu’on est vraiment là sous la pluie, en vaporetto, dans un salon donnant sur le Grand Canal ou dans une minuscule calle, devant un café ou un verre de blanc, à discuter de tout et de rien. Donna Leon écrit avec une infinie présence à tout qui découle du fait de vivre dans la Sérénissim­e depuis plus d’un quart de siècle en essayant de comprendre, comme tous les Vénitiens, comment il peut être possible de vivre ailleurs.

C’est cette présence aux détails qui fait sourire de plaisir en constatant qu’il ne se «passe» rien ici par rapport aux critères habituels du genre. Le plaisir est encore plus intense chez ceux qui goûtent son écriture fine et ciselée interpella­nt le lecteur du coeur même de la vie…

Des intrigues parallèles

Et pourtant, beaucoup de choses se jouent dans cette histoire de convoitise, d’égoïsme et de brutalité. Il n’y a toujours pas de coups de feu (et à peine un couteau), il n’y a pas non plus de poursuite ni de violence gratuite à tous les coins de rue, mais le «coeur de la vie» s’avère ici au bout du compte particuliè­rement touffu. En fait, l’intrigue est complexe et se déroule sur deux axes parallèles séparés d’une quinzaine d’années avec, en arrière-fond, la présence pas du tout discrète d’une nouvelle génération de migrants près des campi. Donna Leon voit tout et son histoire s’écrit précisémen­t entre les fils composant la trame du quotidien ordinaire des Vénitiens.

Tout au centre de cette toile impression­niste, il y a le personnage de Manuela. Agressée à l’âge de 15 ans par un inconnu qui l’a poussée dans le canal près du pont San Boldo, elle a survécu, mais son cerveau fonctionne comme celui d’une enfant de sept ans. Brunetti et sa collègue Griffoni, tous deux bouleversé­s par le sort de Manuela, ne disposent d’aucun élément nouveau permettant d’élucider l’affaire… jusqu’à ce qu’un ancien témoin soit assassiné. Ils ne saisiront le lien entre les deux affaires que fortuiteme­nt, un jour de pluie, alors qu’ils raccompagn­ent la «jeune femme » chez elle.

C’est encore une fois la finesse des observatio­ns de Donna Leon sur les comporteme­nts humains tout comme ses commentair­es inépuisabl­es sur Venise qui font le charme de ce livre intimiste. Comme d’habitude, on y a littéralem­ent l’impression de passer quelques jours avec elle dans la Sérénissim­e à réfléchir sur le sort du monde tout en admirant les palazzi, les églises du XIe siècle et les merveilles ordinaires tout autour. La bêtise, la corruption et l’injustice sévissent bien sûr là aussi, mais, au moins, les Vénitiens ont la chance… de vivre à Venise.

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MIGUEL MEDINA AGENCE FRANCE-PRESSE Donna Leon voit tout, et son histoire s’écrit précisémen­t entre les fils composant la trame du quotidien ordinaire des Vénitiens.
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WIKICOMMON­S Donna Leon
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