Le Devoir

Bras de fer pour l’équité fiscale

Robert Dutrisac Bras de fer fiscal entre Québec et Ottawa

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Pour d’évidentes raisons d’équité fiscale, le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, a annoncé qu’il avait l’intention, à la faveur de son prochain budget, d’appliquer la taxe de vente du Québec (TVQ), et même la taxe fédérale sur les produits et services (TPS), au commerce électroniq­ue effectué par des fournisseu­rs étrangers. Sur cet enjeu, Ottawa défend une position intenable et son absence de collaborat­ion compliquer­a grandement les choses.

Dans la lettre qu’il a envoyée mardi au ministre des Finances canadien, Carlos Leitão souligne que «l’augmentati­on considérab­le du nombre de transactio­ns en ligne entre les consommate­urs locaux et des fournisseu­rs étrangers représente un défi important pour tous les pays qui imposent une taxe sur la valeur ajoutée (TVA)», comme la TPS au Canada. Non seulement les gouverneme­nts se privent de revenus importants, mais il s’agit d’un «enjeu d’équité» pour les entreprise­s qui ont pignon sur rue au pays et qui, elles, doivent percevoir les taxes de vente, rappelle-t-il.

C’est pourquoi il y a deux ans, l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE) a produit un rapport sur les défis fiscaux posés par l’économie numérique. Ce rapport analysait différents moyens de percevoir les taxes de vente sur les achats en ligne, signale Marwah Rizqy, de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, dans un récent papier sur le cas de l’Australie, dont le nouveau régime de taxation s’appliquera à compter du 1er juillet 2018 aux biens tangibles et intangible­s vendus par des fournisseu­rs étrangers comme Netflix, Amazon, Alibaba ou eBay.

Non seulement il est possible de taxer le commerce électroniq­ue, mais c’est hautement souhaitabl­e. S’abstenir de le faire, comme l’a décrété le gouverneme­nt Trudeau pour Netflix, c’est se faire complice d’une concurrenc­e déloyale affectant des services similaires au pays, tel Illico au Québec. C’est aussi éroder la base fiscale qui assure le financemen­t des services publics, comme le font, d’ailleurs, les paradis fiscaux sur lesquels Justin Trudeau ferme les yeux.

Depuis la publicatio­n des recommanda­tions de l’OCDE, plusieurs pays ont pris des mesures afin de taxer le commerce électroniq­ue outre frontière, que ce soit les pays membres de l’Union européenne, l’Afrique du Sud, l’Islande, le Japon, la Norvège, la Suisse ou, plus récemment, l’Australie.

À l’heure actuelle, Québec perçoit tant la TPS fédérale que la TVQ. En vertu de la loi québécoise qui traduit l’entente d’harmonisat­ion des taxes de vente entre les deux ordres de gouverneme­nt, chaque fois que le Québec perçoit la TVQ sur un bien ou service, il est dans l’obligation de percevoir la TPS. C’est pourquoi Carlos Leitão a indiqué jeudi que lorsque le fisc québécois percevra la TVQ sur les abonnement­s à Netflix, il percevra la TPS en même temps et enverra un chèque à Ottawa, qu’il le veuille ou non.

On conçoit toute l’incongruit­é d’une pareille situation. Le gouverneme­nt Couillard fera ainsi la preuve par l’absurde de l’incohérenc­e du gouverneme­nt fédéral en la matière. En appliquant à la lettre la loi québécoise sur la perception des deux taxes, il fait un geste politique pour forcer la main à Ottawa.

Dans sa lettre, Carlos Leitão plaide pour «une approche canadienne coordonnée ». De toute évidence, c’est la voie à suivre. D’abord, c’est la responsabi­lité du gouverneme­nt fédéral d’améliorer la perception des taxes sur les biens tangibles aux douanes, perception qui n’est guère efficace. Ensuite, c’est Ottawa plutôt que Québec qui est le mieux placé pour exiger des fournisseu­rs étrangers de services et de biens intangible­s qu’ils s’inscrivent aux régimes de la TPS et la TVQ.

Depuis l’étrange décision d’exempter Netflix de la perception des taxes de vente, que les explicatio­ns confuses de la pauvre ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, ont rendue encore plus bizarre, Ottawa, à commencer par le ministre des Finances, Bill Morneau, s’enferme dans le mutisme le plus complet quand il est question de la taxation des achats en ligne, un enjeu pourtant important et des plus actuels.

Se peut-il que les négociatio­ns avec les États-Unis de Donald Trump sur le libre-échange, dont un des volets vise le commerce électroniq­ue, y soient pour quelque chose, le Canada voulant témoigner de sa servilité? Peut-être. Chose certaine, la justificat­ion du gouverneme­nt Trudeau, qui affirme ne pas vouloir alourdir le fardeau fiscal des Canadiens, ne tient pas la route. Si faire preuve d’équité lui assure davantage de revenus — ce serait d’ailleurs le cas s’il s’attaquait aux paradis fiscaux —, Ottawa n’a qu’à réduire d’autant l’impôt ou les taxes pour tous les contribuab­les.

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ROBERT DUTRISAC

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