Le Devoir

Produire mieux, et à échelle humaine

Une personne sur neuf souffre de la faim dans le monde. Et le nombre de ventres creux est en augmentati­on, selon l’Organisati­on des Nations unies sur l’alimentati­on et l’agricultur­e (FAO). La solution n’est pas de produire plus de nourriture, mais de le f

- CATHERINE GIROUARD

Éric Davila vit à Esteli, une région rurale du Nicaragua. À 18 ans, il est le doyen de PROGA-Jeunes, une formation en agroécolog­ie offerte par SUCO, qui accompagne des communauté­s à travers une expertise en agricultur­e durable. Alors qu’il faisait déjà pousser du maïs et des haricots avec son oncle sur la parcelle familiale, le jeune homme a diversifié sa production avec des arbres fruitiers, des raisins, des concombres, des tomates, des carottes et du cacao. En plus de nourrir sa famille, il a créé une petite pépinière de 2000 plants de fraises et de plantes qu’il revend comme des petits pains chauds. Tout cela représente une améliorati­on majeure de la sécurité alimentair­e de sa famille, alors qu’environ 75% des personnes les plus pauvres vivent, comme lui, en milieu rural et travaillen­t pour la plupart en agricultur­e.

« On doit donner plus de place à l’agricultur­e à petite échelle, familiale, qui fonctionne en circuits plus courts», affirme Linda Gagnon, directrice générale par intérim de SUCO et spécialist­e en agroécolog­ie et en égalité entre les femmes et les hommes. L’histoire d’Éric en est un bel exemple de succès parmi plusieurs autres, alors que SUCO a entre autres formé plus de 2400 jeunes en agroécolog­ie au Nicaragua. « Le problème de la faim vient de l’organisati­on du système alimentair­e actuel, selon nous, pas d’un manque de nourriture, croit Linda Gagnon. Au lieu de dire qu’on doit produire le double de nourriture d’ici 2050 pour subvenir aux besoins de tous, on dit qu’il faut repenser tout le système alimentair­e, de la production à la commercial­isation, en passant par la consommati­on.»

Mme Gagnon remet en question l’agricultur­e industriel­le, la monocultur­e sur de grandes surfaces, l’utilisatio­n de terres agricoles pour produire des produits qui ne sont pas consacrés à l’alimentati­on, comme l’éthanol, l’huile de palme ou la nourriture pour le bétail… «C’est sûr qu’on a encore besoin de l’agricultur­e industriel­le, l’idée n’est pas de déshabille­r Pierre pour habiller Paul, mais plutôt de donner plus de place à l’agricultur­e nourricièr­e, plus axée sur l’alimentati­on des personnes», continue-t-elle. Humaniser l’agricultur­e

« Nous serions tous gagnants en rendant l’alimentati­on plus humaine, et faite à échelle humaine », est-elle persuadée. En plus de réduire les kilomètres parcourus par les aliments, réduisant donc l’énergie fossile utilisée, la production de gaz à effet de serre ainsi que l’utilisatio­n de produits nécessaire­s à la conservati­on des aliments durant le voyage, cela diminuerai­t la spéculatio­n sur la nourriture de base.

«Des pays qui ont toujours produit du maïs, des haricots et du riz, par exemple, n’en produisent

pratiqueme­nt plus parce que le marché est accaparé par des géants de l’alimentati­on d’autres pays», déplore la directrice générale de SUCO. «On se retrouve avec des produits qui viennent d’ailleurs qui sont moins chers que les produits locaux, et ça crée des tensions et

des illogismes partout», renchérit Michel Sanfaçon, chargé de programme pour Haïti pour SUCO.

Comme le Québec, de nombreux pays tentent de promouvoir l’achat local et la consommati­on locale. Produire localement et consommer les produits locaux contribue aussi à une plus grande sécurité alimentair­e, souligne pour sa part Sophie Bourdon, représenta­nte de SUCO au Sénégal. «Auparavant, on avait tendance à lier la question de la sécurité alimentair­e à l’urgence,

affirme-t-elle. Aujourd’hui, on aborde de plus en plus la sécurité alimentair­e dans le sens de la souveraine­té alimentair­e. On comprend qu’il faut renforcer l’autonomie d’agir des population­s à long terme et de façon durable.»

Les femmes, une solution

Alors qu’elles sont souvent les grandes responsabl­es de l’alimentati­on de leur famille, les femmes doivent aussi avoir une plus grande place à tous les niveaux dans le système alimentair­e, croit aussi SUCO. «Ce sont elles qui changeront les choses, fait valoir Linda Gagnon. Il faut offrir des solutions aux jeunes femmes qui se retrouvent encore beaucoup dans

des rôles très traditionn­els et qui sont surtout utilisées comme main-d’oeuvre en agricultur­e. »

Selon les recommanda­tions émises par Aid for Agricultur­e, l’égalité des femmes en agricultur­e «stimulerai­t l’économie, renforcera­it la résilience face aux changement­s climatique­s, préservera­it et améliorera­it les écosystème­s, augmentera­it les rendements et améliorera­it la sécurité alimentair­e et la nutrition ».

C’est pourquoi SUCO cherche beaucoup à atteindre les jeunes femmes à travers ses différents programmes. Dans PROGA-Jeunes, au Nicaragua, 45 % des étudiants qui ont suivi et terminé la formation étaient des femmes. Vilma est l’une d’entre elles. À

17, elle suit la formation malgré sa grossesse. «Dans notre société souvent dure et machiste, le papa aurait pu refuser que sa famille suive la formation, mais il l’a plutôt encouragée et appuyée», raconte Omar David Izagirre Ponce, technicien agricole pour le programme, dans une vidéo diffusée sur YouTube. Pour l’aider, son père assiste à certains cours à sa place. Le père et la fille se partagent ensuite leurs connaissan­ces et les appliquent sur la terre familiale. C’est donc toute la famille qui profite d’un nouveau savoir en agroécolog­ie, et ils lancent même une culture de café.

«Il faut valoriser le rôle des femmes et leur donner accès à la terre et au crédit, mais il faut aussi travailler à tous les

niveaux, assure Linda Gagnon. Si on aide une jeune femme à mettre sur pied une petite ferme agroécolog­ique mais que ses tâches liées à la famille sont toujours les mêmes, on la met devant un

échec potentiel.» C’est pourquoi SUCO inclut un volet sur l’égalité des sexes au sein de ses formations comme PROGA-Jeunes.

La nouvelle politique d’aide internatio­nale féministe du Canada, lancée en juin dernier par la ministre du Développem­ent internatio­nal et de la Francophon­ie, Marie-Claude Bibeau, va aussi dans ce sens. Bien qu’on ne sache pas encore quelles formes prendra exactement cette politique, la directrice par intérim de SUCO la voit d’un bon oeil.

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JACINTHE MOFFATT Quelque 45% des étudiants qui ont suivi et terminé PROGA-Jeunes, une formation en agroécolog­ie offerte par SUCO au Nicaragua, étaient des femmes.

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