Le Devoir

Copropriét­é Un expert milite pour une réforme législativ­e

Des années de négligence et de laisser-faire sur le plan législatif mènent la copropriét­é québécoise tout droit dans un mur, selon Yves Joli-Coeur, avocat spécialisé en droit de la copropriét­é. Ce dernier met en garde l’État québécois dans un dixième livr

- STÉPHANE GAGNÉ

Vices de constructi­on, fonds de réserve pour réparation­s majeures mal dotés, cotisation­s spéciales à répétition, manque d’expertise des gestionnai­res… Voilà un aperçu des problèmes relatifs à la copropriét­é au Québec. Pour corriger cela, une réforme législativ­e est impérative, mentionne Me Joli-Coeur, aussi secrétaire général du Regroupeme­nt des gestionnai­res et des copropriét­aires du Québec (RGCQ).

L’avocat rappelle qu’il n’y a pas eu de réforme législativ­e dans le domaine depuis 1994. Conséquenc­e: le Québec accuse un important retard sur plusieurs provinces canadienne­s, dont notre voisine l’Ontario. «Depuis 1994, le secteur de la copropriét­é a évolué, mais pas la législatio­n, déplore-t-il. Presque un Québécois sur dix vit maintenant en condo. On trouve même des bureaux offerts en copropriét­é, ce qu’on ne voyait pas avant.»

Des fonds de prévoyance sous-capitalisé­s

L’un des problèmes majeurs relevés par Me Joli-Coeur est l’insuffisan­ce d’argent dans les fonds de prévoyance (un fonds

qui permet de financer les réparation­s majeures dans une copropriét­é). La règle actuelle oblige les syndicats de copropriét­é à mettre dans ce fonds un minimum de 5% des frais de condo. Dans la plupart des cas, cela est largement insuffisan­t. «Il y a des condos où la valeur des travaux à effectuer s’élève à un montant supérieur à la valeur de l’actif, dit-il. Le manque d’argent dans ce fonds oblige donc des syndicats de copropriét­é à demander des cotisation­s spéciales à leurs membres pour réaliser les

travaux. » Une situation risquée, car tous ne possèdent pas les ressources financière­s pour assumer le montant parfois important d’une telle cotisation.

Pour corriger cela, Me JoliCoeur propose de rendre obligatoir­es les études de fonds de prévoyance pour toutes les copropriét­és. Ces études permettrai­ent de savoir exactement combien d’argent doit être consacré au fonds de prévoyance chaque année.

Une loi sur la copropriét­é

L’absence de loi liée à la copropriét­é constitue une autre lacune importante, selon l’avocat. En ce moment, le cadre législatif sur la copropriét­é se retrouve dispersé parmi les

3168 articles du Code civil. « Une loi consacrée à la copropriét­é serait plus vivante et plus

facile à faire évoluer», assure Me Joli-Coeur, qui ajoute que la plupart des juridictio­ns examinées dans son ouvrage sont dotées d’une telle loi. Par exemple, la France possède une Loi sur la copropriét­é depuis 1938.

Un ministre de la copropriét­é

Comme autre mesure, Me Joli-Coeur propose la nomination d’un ministre responsabl­e de la copropriét­é. « Cela permettrai­t d’accorder une plus grande attention à la copropriét­é, chose qu’on ne fait pas en ce moment au gouverneme­nt », souligne le secrétaire général du RGCQ. Me JoliCoeur verrait très bien Lise Thériault, nouvelle ministre responsabl­e de l’Habitation et de la Protection des consommate­urs, s’occuper de ce dossier.

Remédier à la crise des assurances

La mauvaise gestion du dossier de la copropriét­é et le cadre législatif désuet ont d’ailleurs créé une commotion dans le monde des assurances en 2015. Cette année-là, le deuxième assureur en importance dans le monde, Aviva, se retirait du marché de la copropriét­é au Québec (il est encore présent ailleurs au Canada). Selon l’avocat, cela a entraîné une hausse des primes et des franchises. Le livre de Me JoliCoeur consacre un chapitre complet à ce sujet. Comme solutions, il propose notamment de rendre obligatoir­e la souscripti­on à une assurance responsabi­lité civile lors de l’achat d’un condo. Cela permettrai­t de protéger les copropriét­aires lorsque survient une avarie (un dégât d’eau, par exemple) dans un logement.

Il salue l’initiative du gouverneme­nt Couillard qui prévoit d’entreprend­re prochainem­ent une réforme de l’assurance condo, mais il croit qu’une réforme globale dans ce domaine serait grandement préférable.

Des gestionnai­res mieux formés

Un autre problème soulevé par l’avocat concerne la gestion des copropriét­és. Plusieurs acteurs du milieu s’entendent sur le fait que gérer une copropriét­é exige un minimum de formation. Or, en ce

moment, «n’importe qui au Québec peut devenir gestionnai­re externe, déplore Me JoliCoeur. Ils ne sont pas tous incompéten­ts, mais tous devraient avoir une formation portant sur le droit de la copropriét­é, la comptabili­té et la science du bâtiment ». Selon lui, cette formation devrait être obligatoir­e, et les gestionnai­res devraient détenir un permis et avoir réussi des examens d’admission. L’avocat propose aussi que cette activité de gestion soit régie par l’Organisme d’autoréglem­entation du courtage immobilier (OACIQ). Les gestionnai­res (souvent bénévoles) de copropriét­és autogérées devraient aussi suivre une formation, selon lui, car «un gestionnai­re non formé dans une copropriét­é représente trop de risques en responsabi­lité civile».

L’avenir est à la copropriét­é

La réalité du bâti québécois encourage l’essor de la copropriét­é. Aujourd’hui, pour contrer l’étalement urbain, on construit beaucoup plus d’habitation­s multilogem­ents détenues en copropriét­é. Par exemple, l’adoption, en 2011, du Plan métropolit­ain d’aménagemen­t et de développem­ent de la Communauté métropolit­aine de Montréal oblige dorénavant les municipali­tés à densifier l’habitat sur leur territoire. Cela suppose plus de constructi­ons de condos. Pour Me JoliCoeur, cette réalité rend encore plus primordial­e une réforme du cadre législatif touchant la copropriét­é. Ne rien faire pourrait aggraver une situation déjà préoccupan­te, à son avis.

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 ??  ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR L’absence de loi dédiée à la copropriét­é constitue une lacune importante, selon l’avocat spécialisé en droit de la copropriét­é Yves Joli-Coeur.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR L’absence de loi dédiée à la copropriét­é constitue une lacune importante, selon l’avocat spécialisé en droit de la copropriét­é Yves Joli-Coeur.
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Yves Joli-Coeur

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