Copropriété Un expert milite pour une réforme législative
Des années de négligence et de laisser-faire sur le plan législatif mènent la copropriété québécoise tout droit dans un mur, selon Yves Joli-Coeur, avocat spécialisé en droit de la copropriété. Ce dernier met en garde l’État québécois dans un dixième livr
Vices de construction, fonds de réserve pour réparations majeures mal dotés, cotisations spéciales à répétition, manque d’expertise des gestionnaires… Voilà un aperçu des problèmes relatifs à la copropriété au Québec. Pour corriger cela, une réforme législative est impérative, mentionne Me Joli-Coeur, aussi secrétaire général du Regroupement des gestionnaires et des copropriétaires du Québec (RGCQ).
L’avocat rappelle qu’il n’y a pas eu de réforme législative dans le domaine depuis 1994. Conséquence: le Québec accuse un important retard sur plusieurs provinces canadiennes, dont notre voisine l’Ontario. «Depuis 1994, le secteur de la copropriété a évolué, mais pas la législation, déplore-t-il. Presque un Québécois sur dix vit maintenant en condo. On trouve même des bureaux offerts en copropriété, ce qu’on ne voyait pas avant.»
Des fonds de prévoyance sous-capitalisés
L’un des problèmes majeurs relevés par Me Joli-Coeur est l’insuffisance d’argent dans les fonds de prévoyance (un fonds
qui permet de financer les réparations majeures dans une copropriété). La règle actuelle oblige les syndicats de copropriété à mettre dans ce fonds un minimum de 5% des frais de condo. Dans la plupart des cas, cela est largement insuffisant. «Il y a des condos où la valeur des travaux à effectuer s’élève à un montant supérieur à la valeur de l’actif, dit-il. Le manque d’argent dans ce fonds oblige donc des syndicats de copropriété à demander des cotisations spéciales à leurs membres pour réaliser les
travaux. » Une situation risquée, car tous ne possèdent pas les ressources financières pour assumer le montant parfois important d’une telle cotisation.
Pour corriger cela, Me JoliCoeur propose de rendre obligatoires les études de fonds de prévoyance pour toutes les copropriétés. Ces études permettraient de savoir exactement combien d’argent doit être consacré au fonds de prévoyance chaque année.
Une loi sur la copropriété
L’absence de loi liée à la copropriété constitue une autre lacune importante, selon l’avocat. En ce moment, le cadre législatif sur la copropriété se retrouve dispersé parmi les
3168 articles du Code civil. « Une loi consacrée à la copropriété serait plus vivante et plus
facile à faire évoluer», assure Me Joli-Coeur, qui ajoute que la plupart des juridictions examinées dans son ouvrage sont dotées d’une telle loi. Par exemple, la France possède une Loi sur la copropriété depuis 1938.
Un ministre de la copropriété
Comme autre mesure, Me Joli-Coeur propose la nomination d’un ministre responsable de la copropriété. « Cela permettrait d’accorder une plus grande attention à la copropriété, chose qu’on ne fait pas en ce moment au gouvernement », souligne le secrétaire général du RGCQ. Me JoliCoeur verrait très bien Lise Thériault, nouvelle ministre responsable de l’Habitation et de la Protection des consommateurs, s’occuper de ce dossier.
Remédier à la crise des assurances
La mauvaise gestion du dossier de la copropriété et le cadre législatif désuet ont d’ailleurs créé une commotion dans le monde des assurances en 2015. Cette année-là, le deuxième assureur en importance dans le monde, Aviva, se retirait du marché de la copropriété au Québec (il est encore présent ailleurs au Canada). Selon l’avocat, cela a entraîné une hausse des primes et des franchises. Le livre de Me JoliCoeur consacre un chapitre complet à ce sujet. Comme solutions, il propose notamment de rendre obligatoire la souscription à une assurance responsabilité civile lors de l’achat d’un condo. Cela permettrait de protéger les copropriétaires lorsque survient une avarie (un dégât d’eau, par exemple) dans un logement.
Il salue l’initiative du gouvernement Couillard qui prévoit d’entreprendre prochainement une réforme de l’assurance condo, mais il croit qu’une réforme globale dans ce domaine serait grandement préférable.
Des gestionnaires mieux formés
Un autre problème soulevé par l’avocat concerne la gestion des copropriétés. Plusieurs acteurs du milieu s’entendent sur le fait que gérer une copropriété exige un minimum de formation. Or, en ce
moment, «n’importe qui au Québec peut devenir gestionnaire externe, déplore Me JoliCoeur. Ils ne sont pas tous incompétents, mais tous devraient avoir une formation portant sur le droit de la copropriété, la comptabilité et la science du bâtiment ». Selon lui, cette formation devrait être obligatoire, et les gestionnaires devraient détenir un permis et avoir réussi des examens d’admission. L’avocat propose aussi que cette activité de gestion soit régie par l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier (OACIQ). Les gestionnaires (souvent bénévoles) de copropriétés autogérées devraient aussi suivre une formation, selon lui, car «un gestionnaire non formé dans une copropriété représente trop de risques en responsabilité civile».
L’avenir est à la copropriété
La réalité du bâti québécois encourage l’essor de la copropriété. Aujourd’hui, pour contrer l’étalement urbain, on construit beaucoup plus d’habitations multilogements détenues en copropriété. Par exemple, l’adoption, en 2011, du Plan métropolitain d’aménagement et de développement de la Communauté métropolitaine de Montréal oblige dorénavant les municipalités à densifier l’habitat sur leur territoire. Cela suppose plus de constructions de condos. Pour Me JoliCoeur, cette réalité rend encore plus primordiale une réforme du cadre législatif touchant la copropriété. Ne rien faire pourrait aggraver une situation déjà préoccupante, à son avis.