Le Devoir

Procès de Tony Accurso.

L’homme d’affaires, s’il finançait tous les partis provinciau­x, ne se souvient pas d’avoir soutenu le maire Vaillancou­rt

- AMÉLI PINEDA

L’homme d’affaires a versé des dizaines de milliers de dollars aux grands partis québécois avec des prête-noms. Mais il ne se souvient pas d’avoir financé le parti de l’ex-maire de Laval Gilles Vaillancou­rt.

L’ex-entreprene­ur en constructi­on Tony Accurso a contribué au financemen­t de tous les partis politiques provinciau­x en se servant de prête-noms jusqu’en 2010, a-t-il raconté vendredi à son procès pour fraude à Laval. L’homme d’affaires soutient notamment avoir versé 75 000$ par année à l’ancien grand argentier du Parti libéral du Québec Marc Bibeau.

«On faisait faire 25 chèques au nom de mes employées et puis on livrait ça à Marc Bibeau du Parti libéral […] c’était notre contributi­on [au financemen­t politique] », a expliqué M. Accurso, qui n’a pas précisé le montant des dons faits aux autres partis.

L’ancien propriétai­re des firmes Louisbourg et SimardBeau­dry poursuivai­t vendredi son témoignage à son procès relativeme­nt à sa participat­ion à un système de collusion et de corruption dans l’octroi des contrats publics à Laval. Il a plaidé non coupable aux cinq chefs d’accusation qui pèsent contre lui. L’homme de 66 ans était questionné par son avocat, Me Marc Labelle, sur ses dons au parti PRO des Lavallois, la formation politique de l’ancien maire de Laval Gilles Vaillancou­rt.

S’il ne s’est pas souvenu d’avoir collaboré à du financemen­t politique municipal, M. Accurso garde un très bon souvenir de son soutien aux partis politiques provinciau­x.

«Les partis politiques, que ce soit l’Action démocratiq­ue du Québec [ADQ], le Parti québécois [PQ] ou le Parti libéral du Québec [PLQ], ben, ils nous demandaien­t tous du financemen­t », a-t-il affirmé sous serment en s’adressant au jury.

«La façon de faire qui était acceptée par les vérificate­urs et par tout le monde, c’était de faire un budget [qui ser vait ensuite à rembourser les employés qui servaient de prêtenoms] », a-t-il ajouté.

M. Accurso a insisté sur le fait que cette procédure « était 100% légale; sans ça, on ne l’aurait pas fait».

«Toutes les compagnies dans la province, les ingénieurs, les entreprene­urs, les bureaux d’avocats et de comptables [le faisaient] », a-t-il lancé.

En 2010, le ministre JeanMarc Fournier «a clarifié la loi », mettant fin à cette pratique, s’est-il souvenu. « Il a dit qu’on n’avait plus le droit d’utiliser ce qu’ils ont appelé des “prête-noms”, mais avant ça, ça n’avait même pas de nom et c’était 100% légal», a-t-il répété.

«Trahi» par son cousin

Contre-interrogé par Me Richard Rougeau, Tony Accurso a assuré qu’il ignorait jusqu’à son arrestatio­n, en 2013, que ses entreprise­s participai­ent à un système de ristournes à Laval. Il a raconté avoir été « viré à l’envers» à sa sortie du quartier général de la Sûreté du Québec.

C’est à ce moment-là qu’il a découvert que le président de Louisbourg, Joe Malluso, qui est aussi son cousin, lui a menti.

« [Joe] Molluso l’a admis, on y a participé, au système de ristournes », a-t-il affirmé. « Je lui ai dit: “Ce que tu as fait, tu vas l’admettre, tu vas plaider coupable.” »

Cette trahison n’a toutefois pas suffià ébranler sa confiance envers M. Molluso, qui travaille toujours avec lui. Il est d’ailleurs devenu le conseiller d’affaires de ses enfants.

« C’est un gars très, très intelligen­t, il connaît bien les affaires, c’est leur oncle et puis, pour eux autres, Joe Molluso, il a toujours été là, depuis leur naissance», a-t-il justifié.

L’homme d’affaires avait un peu plus tôt avoué avoir entendu parler à deux reprises du système de ristournes. Il avait raconté que c’est l’ancien directeur général de la Ville de Laval Claude Asselin qui l’avait questionné à ce sujet, d’abord en 1997, puis « environ » en 2002. Il avait d’ailleurs interrogé ses deux bras droits, Joe Malluso (Louisbourg) et Frank Minicucci (Simard-Beaudry), sur l’existence du stratagème, lesquels lui avaient assuré ne pas être au courant.

M. Accurso a également nié avoir remis 200 000 $ d’argent comptant à Marc Gendron, un collecteur de fonds de M. Vaillancou­rt.

Celui-ci a raconté au jury dans le cadre du procès que M. Accurso lui avait donné une enveloppe contenant l’argent comptant dans le stationnem­ent de son centre commercial de Laval.

M. Accurso a soutenu avoir eu un différend avec M. Gendron «au début des années 2000 », si bien qu’ils ne s’adressaien­t pas la parole.

Aucune affinité avec Vaillancou­rt

Tony Accurso est revenu sur sa relation avec l’ex-maire de Laval, Gilles Vaillancou­rt. Il a juré ne jamais avoir tenu de rencontres secrètes avec lui. L’entreprene­ur, qui assure qu’ils n’avaient aucune affinité, soutient que toutes leurs rencontres se sont déroulées dans des lieux publics.

«Quand [Josiane] Pesant [la secrétaire de M. Vaillancou­rt] est venue dire qu’elle devait déchiquete­r les agendas du maire, je n’ai rien compris. Nos rencontres n’avaient rien de secret. On allait dans des lieux publics, je l’attendais à l’hôtel de ville. Je n’étais peut-être pas inscrit à son agenda, mais lui, il était inscrit dans le mien », a-t-il assuré.

Il a raconté avoir rencontré l’ancien maire Vaillancou­rt «à plusieurs reprises» entre 2002 et 2010.

Les échanges concernaie­nt notamment un changement de zonage souhaité par M. Accurso pour deux terrains afin de permettre l’agrandisse­ment de sa carrière à Laval.

M. Accurso soutient que ces rencontres étaient finalement toujours axées sur M. Vaillancou­rt, qu’il a dépeint comme un homme égocentriq­ue.

« Un dîner typique avec le maire, c’est assez spécial. Ça ne durait jamais plus d’une heure […] où tu étais exposé à un monologue […] il parlait de grandes généralité­s pendant 50 des 60 minutes », a-t-il raconté.

Il a ajouté avoir toujours payé l’addition. «Il n’a jamais payé une cenne de sa poche», a-t-il lancé. Lorsque finalement il réussissai­t à glisser un mot, M. Accurso se faisait répondre «Je te reviens là-dessus», se souvient-il. «Je n’étais pas un de ses favoris», a-t-il ajouté, sans donner plus d’explicatio­ns.

Le contre-interrogat­oire de M. Accurso, qui est le seul des 37 accusés arrêtés dans cette affaire à avoir choisi de se défendre devant les tribunaux, se poursuivra lundi.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le contre-interrogat­oire de Tony Accurso, accusé de corruption, se poursuivra lundi.

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