Le Devoir

Rémunérati­on des stagiaires

Grève étudiante au visage féminin

- SOPHIE CHARTIER

Vendredi, Journée mondiale des stagiaires, ils étaient 15 000 étudiants à travers la province à être en grève pour demander une rémunérati­on pour tous les stages. Mené par les étudiantes en enseigneme­nt, en travail social ou encore en soins infirmiers, ce nouveau soulèvemen­t critique une répartitio­n jugée inégale des ressources dans les différents domaines d’enseigneme­nt.

Arlette Thevenot est infirmière depuis deux ans. Mère de trois enfants de 13, 10 et 8 ans, elle vient tout juste de terminer ce printemps son DEC-Bac en soins infirmiers au terme duquel elle a dû réaliser un stage de 28 jours, étalés sur 6 semaines. Les tâches accomplies lors de son stage, non rémunéré, étaient sensibleme­nt les mêmes que celles de ses quarts de travail comme infirmière. «Avec le travail et le stage, les travaux à faire pour les cours, ça cumulait facilement 60 heures de ma semaine, et ça c’est sans s’occuper de ma famille », se rappelle cette battante de 37 ans qui a choisi de poursuivre ses études en s’inscrivant à la maîtrise en sciences infirmière­s.

Pour ajouter à l’absurde de la situation, Mme Thevenot a effectué son stage à l’hôpital qui l’emploie déjà comme infirmière. Dans son discours, une question revient souvent : «Pourquoi mon stage n’est-il pas payé alors que les internats des apprentis médecins le sont ? »

C’est une question de valorisati­on de certains domaines par rapport à d’autres, répondent les militantes de la Coalition montréalai­se pour la rémunérati­on des stages, pilotée en partie par les CUTE (Comités

unitaires sur le travail étudiant). La revendicat­ion principale de ces groupes, au-delà des stages, est la rémunérati­on de tous les étudiants. Et cette valorisati­on, avancent les militantes, est basée sur une hiérarchis­ation genrée des secteurs profession­nels.

« Nous, la question qu’on pose, c’est pourquoi les stages dans les domaines comme génie ou médecine sont tous rémunérés, alors que ceux dans le domaine plus du “care” [en éducation, en communicat­ion, en travail social] ne le sont pas», résume Sandrine Belley, porteparol­e de la Coalition pour le travail étudiant et membre du CUTE-UQAM. L’étudiante au baccalauré­at en travail social avance une ébauche de réponse : les emplois traditionn­ellement féminins sont vus comme un don de soi, accompli par bonté de coeur ou par amour des autres. «Ça reste du travail!»

Inspirées par la grève des doctorants en psychologi­e, qui ont obtenu gain de cause l’an dernier au terme d’une longue bataille avec le gouverneme­nt pour faire rémunérer un stage obligatoir­e de 1600 heures, les associatio­ns étudiantes avaient déjà tenu une journée de grève des cours et des stages en février, pour attirer l’attention des autorités sur la précarité des stagiaires. Cet automne, le mouvement se veut

internatio­nal, avec des échos aux États-Unis et au Mexique.

Analyse féministe

Pour Valérie Simard, étudiante en 4e année au baccalauré­at en enseigneme­nt, avec spécialisa­tion en adaptation scolaire, et militante au sein de la campagne, la revendicat­ion autour des stages se différenci­e des mobilisati­ons étudiantes des dernières années. « Le mouvement est majoritair­ement féminin cette fois, dit Mme Simard, qui aura à faire un stage de 57 jours à partir de janvier dans un centre de réadaptati­on. C’est une analyse féministe sur l’exploitati­on que l’on propose. »

En éducation, les demandes pour dédommagem­ent des stagiaires ne datent pas d’hier. La Campagne de revendicat­ions et d’actions interunive­rsitaires pour les étudiantes et les étudiants d’éducation en stage (CRAIES) est active depuis trois ans pour demander une compensati­on financière pour le quatrième stage du baccalauré­at en enseigneme­nt, qui correspond à une charge de cours complète pour environ trois mois.

Selon son porte-parole, Antoine Côté, étudiant de deuxième année au baccalauré­at en enseigneme­nt du français à l’Université de Montréal, le discours prôné par son regroupeme­nt pourrait bénéficier ces jours-ci d’un bon élan. «En octobre, nous avons lancé un plan d’actions concertées avec d’autres groupes», dit le jeune homme.

Il est clair pour lui que certains domaines, comme l’enseigneme­nt, pâtissent d’un désengagem­ent de la part de l’État. «Il y a deux constats très faciles à établir: les stagiaires qui ont des meilleures conditions sont dans les secteurs traditionn­ellement masculins et en général dans la sphère privée. On voit aussi que les métiers à “haute valeur sociale”, comme en médecine, en droit, en génie, et je ne veux pas trop pointer du doigt ces gens car je sais qu’ils ont aussi leurs problèmes de dynamique interne, mais on le voit tout de suite que ces secteurs-là sont plus valorisés et que les stages viennent avec de meilleures conditions.»

C’est donc une revalorisa­tion de certains secteurs, croit M. Côté, qu’il faut amorcer. «Nos stagiaires méritent mieux, nos profs méritent mieux!»

On voit aussi que les métiers à “haute valeur sociale”, comme en médecine, en droit, en génie, et je ne veux pas trop pointer du doigt ces gens car je sais qu’ils ont aussi leurs conditions» problèmes de dynamique interne, [...] sont plus valorisés et que les stages viennent avec de meilleures Antoine Côté, porte-parole de la Campagne de revendicat­ions et d’actions interunive­rsitaires pour les étudiantes et les étudiants d’éducation en stage (CRAIES) et étudiant de deuxième année au baccalauré­at en enseigneme­nt du français à l’Université de Montréal

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PHOTOS CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR Pendant un atelier de Valérie Simard (à droite), étudiante et stagiaire en enseigneme­nt et militante au sein du Comité unitaire sur le travail étudiant de l’UQAM, au Café Mal-aimé de l’UdeM.
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