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En décembre 2016, le spécialist­e de la détection de la maltraitan­ce infantile avait été retrouvé mort

- ISABELLE PARÉ

Le Dr Sirard a été victime d’acharnemen­t médiatique et juridique, estime sa famille.

La coroner conclut à un état dépressif.

Le rapport d’enquête sur le suicide du Dr Alain Sirard survenu en décembre 2016 au Centre hospitalie­r universita­ire (CHU) Sainte-Justine révèle que le médecin aurait sombré dans un état dépressif à la suite des reportages, enquêtes et sanctions qui ont suivi les plaintes déposées contre lui par des parents s’estimant accusés à tort d’avoir maltraité leurs enfants. Dépourvu du « soutien psychiatri­que » et d’un «traitement médicament­eux» qui aurait pu l’aider, «il ne fait aucun doute que les épreuves des trois dernières années ont contribué à la décision du médecin de mettre fin à ses jours », conclut la coroner Stéphanie Gamache.

Il y a presque un an, ce spécialist­e de la détection de la maltraitan­ce infantile avait été retrouvé sans vie au 7e étage du CHU Sainte-Justine. L’événement tragique était survenu 25 jours après la sanction annoncée au médecin par le comité de discipline de l’hôpital.

Trois ans plus tôt, le Dr Sirard s’était retrouvé sous la loupe des médias alors que de nombreux reportages, notamment de l’émission Enquête de Radio-Canada et de La Presse, avaient fait état des plaintes déposées par des parents très amers à son endroit. Les enfants avaient fait l’objet d’une investigat­ion médicale poussée et d’une évaluation à la Clinique sociojurid­ique de Sainte-Justine — notamment par cet expert — en raison de fractures ou de blessures jugées inexpliqué­es.

Ces plaintes ont donné lieu par la suite à une revision de la pratique du Dr Sirard au Collège des médecins, d’une enquête interne au CHU Sainte-Justine et d’une enquête plus vaste de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, réclamées encore une fois par les parents.

Stress psychologi­que

Selon la coroner, les enquêtes portant sur son travail et les suites de ces reportages ont «apporté un stress psychologi­que considérab­le à M. Sirard et sa pratique quotidienn­e de la médecine en [a été] grandement affectée», indique l’analyse de la coroner.

Le médecin a fait appel au programme d’aide aux médecins du Québec pour obtenir du soutien et un suivi auprès d’un psychiatre, mais ce soutien a été interrompu. En 2015, le Dr Sirard se voit diagnostiq­uer « une dépression majeure probable» et on lui prescrit un arrêt de travail.

Stéphanie Gamache note dans son rapport que le Dr Sirard « ne consommait aucun médicament antidépres­seur alors qu’un traitement médicament­eux aurait possibleme­nt pu l’aider à surmonter ses nombreuses épreuves».

La coroner ajoute que la lettre d’adieu et les autres écrits laissés par le médecin « témoignent d’une décision longuement planifiée et non impulsive » et rappelle que «le départemen­t de la santé mentale de l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS) considère que le suicide est un drame évitable».

Dans sa lettre d’adieu intitulée «L’insoutenab­le lourdeur de vivre sans dignité», dévoilée par certains médias, le médecin affirmait: «Après trois ans d’enfer, de novembre 2013 à décembre 2016, je démissionn­e. Il faut un minimum de dignité pour vivre. »

Si la coroner Gamache insiste sur l’importance de mettre en place des stratégies pour prévenir de tels suicides, son rapport ne fait aucune recommanda­tion spécifique à l’égard du CHU Sainte-Justine, des médias ou d’autres organisati­ons médicales.

Réactions de la famille

Le Devoir a pu recueillir samedi les réactions de proches du Dr Sirard, encore durement éprouvés et déçus que le rapport n’avance pas de recommanda­tions plus pointues pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise.

«Ce qu’on retient du rapport, c’est le stress insupporta­ble auquel Alain a dû faire face pendant trois ans, suite aux émissions de grande écoute et aux processus disciplina­ires», a soutenu sa conjointe, la Dre Marie-Claude Miron.

«On déplore le traitement agressif et démonisant auquel il a été soumis, sans contrepoid­s, ainsi que le procès public» dont il a fait l’objet, a-t-elle ajouté.

Olivier Sirard, fils aîné du médecin, s’est dit heureux que le CHU Sainte-Justine ait mis sur pied un comité chargé de faire des recommanda­tions pour prévenir des situations de détresse chez les médecins.

Vendredi, l’hôpital pédiatriqu­e avait réagi au rapport du coroner par voie de communiqué, en précisant qu’un comité relevant du Conseil des médecins, dentistes et pharmacien­s (CMDP) avait été mis sur pied « afin d’identifier les zones où des améliorati­ons sont possibles dans des situations particuliè­rement stressante­s, dont les processus disciplina­ires ».

Le CHU Sainte-Justine a aussi « rappelé à l’ensemble de son personnel et ses médecins, dans un communiqué interne, qu’en cas de difficulté­s ou de détresse, des ressources sont mises à leur dispositio­n ».

Le Dr Sirard était un expert en maltraitan­ce infantile et il travaillai­t en pédiatrie sociojurid­ique au CHU Sainte-Justine depuis 17 ans. Il avait pour mandat de dépister les victimes de sévices physiques et sexuels.

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