Le Devoir

Réaligneme­nt de l’échiquier politique dans le golfe Persique

- PIERRE PAHLAVI Membre de l’Observatoi­re sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand

Même si elle vient de monter d’un cran, la rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite ne date pas d’hier. Depuis 1979, les deux pays tentent de faire reconnaîtr­e leur leadership sur le Moyen-Orient. Cette rivalité est basée sur une logique de jeu à somme nulle. Selon cette logique, chacun a la certitude qu’une victoire (diplomatiq­ue, politique ou économique) de la partie adverse se traduit nécessaire­ment par une défaite pour lui-même.

Vu comme une victoire diplomatiq­ue de l’Iran, l’accord nucléaire de 2015 a eu pour effet d’aggraver cette dynamique. Les pétromonar­chies ont eu l’impression qu’un réchauffem­ent des relations entre Téhéran et Washington allait nécessaire­ment s’accompagne­r d’une remise en cause de leur relation privilégié­e avec les États-Unis.

La visite du président américain au Moyen-Orient au mois de mai dernier et l’adoption de ce que l’on appelle la « doctrine Trump » a marqué un «reset» de la politique de Washington envers la région. La Maison-Blanche a clairement indiqué sa volonté de prendre ses distances avec l’Iran pour se rapprocher des monarchies arabes du Conseil de coopératio­n du Golfe. Ce réaligneme­nt a été confirmé par Donald Trump durant sa récente visite au Japon.

Dans une large mesure, l’adoption de la «doctrine Trump» a été le déclic qui a encouragé l’Arabie saoudite à durcir sa politique régionale. Cela s’est traduit par la mise en quarantain­e du Qatar au moyen de laquelle Riyad a voulu réaffirmer son rôle de leader incontesté du monde sunnite, mettre en garde contre toute normalisat­ion des relations avec Téhéran et éviter ainsi que l’Iran redevienne, comme avant 1979, une pièce centrale et dominante de l’échiquier moyen-oriental.

La réorientat­ion de la politique américaine s’est accompagné­e d’une forte détériorat­ion de la relation entre la république islamique et le royaume wahhabite. Jusqu’à présent, l’affronteme­nt entre les deux camps adverses se limitait à des zones relativeme­nt périphériq­ues: le Yémen et la Syrie. Désormais, c’est une crise ouverte qui peut avoir des implicatio­ns majeures pour toute la région.

Une nouvelle étape a été franchie la semaine dernière. Parmi les symptômes de l’aggravatio­n de la situation, il y a la purge opérée par le prince ben Salman, la démission du premier ministre libanais attribuée par les Saoudiens au Hezbollah pro-iranien et le tir de missiles du Yémen vers l’Arabie saoudite également attribué aux alliés houtis de Téhéran. Riyad est même allé jusqu’à parler de « déclaratio­n de guerre iranienne contre l’Arabie saoudite ».

Pour autant, cette crise va-t-elle nécessaire­ment déboucher sur un conflit ouvert entre l’Iran et l’Arabie saoudite? Il est permis d’en douter. Certes, la région est extrêmemen­t polarisée et militarisé­e. Le Moyen-Orient est une vraie poudrière, et la situation est plus délétère que jamais. En même temps, il faut garder à l’esprit que le rapport de force militaire entre l’Iran et l’Arabie est fondamenta­lement dissymétri­que. Plus précisémen­t, ce rapport de force est particuliè­rement désavantag­eux pour l’Iran sur le plan des capacités militaires convention­nelles.

L’Iran possède plusieurs centaines de milliers d’hommes, mais n’a pas le matériel militaire de haute technologi­e pour accompagne­r leur déploiemen­t. À l’inverse des Iraniens, les Saoudiens ont accès à une technologi­e militaire dernier cri, mais ne peuvent pas déployer des dizaines de milliers d’hommes. Conscient de cette situation, l’Iran va donc tout faire pour essayer d’esquiver la confrontat­ion directe avec l’Arabie saoudite. De sorte qu’une guerre ouverte, de type convention­nel, entre la république islamique et le royaume wahhabite est possible, mais demeure fort heureuseme­nt peu probable.

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BANDAR AL-JALOUD SAUDI ROYAL PALACE AGENCE FRANCE-PRESSE L’adoption de la «doctrine Trump» a été le déclic qui a encouragé l’Arabie saoudite à durcir sa politique régionale à la suite de la visite du président américain en mai.

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