Le Devoir

Sale temps pour les indépendan­tistes

- LOUISE BEAUDOIN

Malgré les apparences, on peut traiter de la Catalogne et du Kurdistan dans une même chronique. Car l’Espagne et l’Irak, en adoptant une politique de totale intransige­ance, ont aggravé les crises alors que le dialogue aurait été nécessaire et salutaire.

En Catalogne, la ferveur indépendan­tiste a bondi depuis 2010, quand le nouveau statut d’autonomie voté par le Parlement espagnol et ratifié par les Catalans a été partiellem­ent recalé par la Cour constituti­onnelle d’Espagne, saisie, rappelons-le, par Mariano Rajoy. Il y a fort à parier qu’une modificati­on à la Constituti­on aurait alors évité le désastre actuel. Car, si le gouverneme­nt de la Generalita­t a procédé comme il l’a fait en transgress­ant les lois et la Constituti­on, c’est parce que Rajoy et son Parti populaire ne lui ont pas laissé d’autre choix. Pour paraphrase­r Bertolt Brecht: Rajoy, plutôt que de changer la Constituti­on, a rêvé de «dissoudre» la nation catalane!

Au Kurdistan, où je me suis personnell­ement rendue à deux reprises, la situation est différente: une Constituti­on irakienne qui n’interdit pas la sortie d’une de ses composante­s, un référendum organisé selon les règles de l’art en présence de 138 observateu­rs internatio­naux, un taux de participat­ion de 72,16% et un «oui» à l’indépendan­ce à 92,73 %.

Les 36 millions de Kurdes dispersés dans quatre pays auraient dû obtenir en 1920 leur propre pays si les signataire­s du traité de Sèvres n’avaient pas renié leur engagement. Mais le rêve d’indépendan­ce est toujours resté vivace dans l’imaginaire kurde. Aujourd’hui, ce sont les 8 millions de Kurdes irakiens qui devraient être en mesure de le concrétise­r.

Or, comme la Catalogne, le Kurdistan se retrouve isolé sur la scène internatio­nale.

Les Catalans pour avoir cru en l’Europe, les Kurdes parce qu’ils ont été trahis par leurs alliés, au premier chef, les États-Unis.

Car pour l’Europe, il n’y a plus que le statu quo perpétuel qui compte. Ce qui la rend aveugle, sourde et pratiqueme­nt muette. Sauf lorsque le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, cet ancien premier ministre du Luxembourg, paradis fiscal de 600 000 habitants, prend la parole pour faire la morale aux Catalans.

Pour les Kurdes, la si- tuation est plus dramatique : Bagdad, sous in- fluence iranienne, a répondu à l’expression démocratiq­ue du peuple kurde par la voix des armes (celles livrées par les Américains pour combattre Daech !), occupant Kirkouk et les champs pétrolifèr­es, poumons financiers du Kurdistan. Opération menée avec l’aide de milices chiites, irakiennes, mais aussi iraniennes, grâce au feu vert donné par la coalition militaire internatio­nale anti-Daech, France et Canada inclus. La coalition a trahi les Kurdes, son allié le plus fiable dans la région.

Les Peshmergas ont perdu plus de 2000 hommes dans cette guerre. Pour remercier les Kurdes d’avoir, de surcroît, généreusem­ent accueilli plus d’un million et demi de réfugiés, dont de nombreux chrétiens et des yézidis condamnés au génocide par Daech, les États-Unis, qui mènent cette coalition, ont permis cette attaque! Dans une incompréhe­nsible incohérenc­e par ailleurs, car un des enjeux, finalement, n’est-ce pas la prédominan­ce ou non dans la région de l’Iran, l’ennemi juré des Américains ?

La suite

En Catalogne, les élections du 21 décembre se tiendront sous haute tension. Comment les indépendan­tistes pourront-ils faire une vraie campagne ?

En Catalogne, les élections du 21 décembre se tiendront sous haute tension. Comment les indépendan­tistes pourront-ils faire une vraie campagne ? Quelle sera la réaction des Catalans ? Dépit, sursaut, résignatio­n ? Quels que soient les résultats, il est certain que le problème catalan ne disparaîtr­a pas. Un jour, il faudra bien un nouveau référendum, organisé cette fois sous l’égide de la communauté internatio­nale.

Quant aux Kurdes, qui ne demandent pas leur indépendan­ce immédiatem­ent, seule la pression internatio­nale ferait entendre raison à l’Iran, à la Turquie et à l’Irak, tous trois ligués contre eux. La France ne peut se dérober ; elle a une responsabi­lité historique par rapport aux Kurdes, responsabi­lité assumée par François Mitterrand en son temps. Sa première résolution vient d’échouer au Conseil de sécurité des Nations unies, la Chine et la Grande-Bretagne ayant opposé leur veto. La France doit revenir à la charge et mettre tout son poids dans la balance, car les Kurdes comptent d’abord et avant tout sur elle.

En attendant, les temps sont durs pour les indépendan­tistes !

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