Le Devoir

L’enfance perdue des Rohingyas

Environ 1400 enfants sont les seuls gagne-pain de leur famille dans les camps de réfugiés le long de la frontière avec le Myanmar

- SAM JAHAN à Balukhali, Bangladesh

Tahera Begum parcourt plus d’un kilomètre à pied à l’aube pour ramasser du petit bois pour ses parents et ses quatre frères et soeurs, un fardeau pour cette fillette de 10 ans propulsée chef de famille dans un des gigantesqu­es camps de réfugiés rohingyas.

« Je le fais, car personne d’autre dans ma famille ne le peut. Mes deux parents sont malades. Ils ne peuvent pas se déplacer sans aide», explique Tahera à l’AFP en découpant des légumes dans la cabane de bâches familiale du camp de Balukhali, dans le sud du Bangladesh.

Environ 1400 enfants sont les seuls gagne-pain de leur famille dans ces cités de tentes le long de la frontière bangladobi­rmane. Plus de 600 000 musulmans rohingyas du Myanmar ont trouvé abri au Bangladesh voisin pour fuir ce que l’ONU considère comme une épuration ethnique.

Les ONG sont soucieuses de la charge que représente­nt de telles responsabi­lités pour ces jeunes êtres, les rendant plus vulnérable­s aux maladies et au stress émotionnel.

« Cela peut les mener à du travail des enfants et à la prostituti­on. Ces familles voient aussi une poussée des mariages d’enfants, ce qui est très inquiétant», explique Rik Goverde, porteparol­e de l’organisme Save the Children Internatio­nal.

Pour Tahera, qui s’occupait de ses parents infirmes avant même qu’ils ne fassent le difficile voyage vers le Bangladesh, la journée commence par une longue marche dans la forêt pour ramasser du petit bois pour la cuisine.

À peine a-t-elle ramené le lourd fagot qu’elle embraye sur sa deuxième tâche quotidienn­e : jouer des coudes avec d’autres réfugiés pour remplir des seaux à la pompe à eau.

Plus tard, Tahera se rend au marché du coin avec ce qu’il lui reste de bois pour essayer de le vendre ou de le troquer contre des denrées de base. L’afflux de réfugiés a entraîné une spirale d’inflation, la petite fille doit négocier dur.

« Mes frères et soeurs sont plus jeunes que moi. Étant la plus âgée, c’est tout simplement mon rôle», dit-elle.

Malnutriti­on

Le spectacle d’enfants transporta­nt des bidons d’eau, faisant la queue à une distributi­on de nourriture ou traînant des sacs de riz aussi lourds qu’eux est courant dans les camps rohingyas.

Les enfants constituen­t plus de la moitié de la vague des récentes arrivées et sont particuliè­rement affectés par ce qui est l’une des plus graves crises humanitair­es de ce début de XXIe siècle en Asie.

7,5% d’entre eux risquent de mourir de malnutriti­on dans les camps du district de Cox’s Bazar, ont averti les Nations unies la semaine dernière.

On estime que 40 000 mineurs auraient traversé la frontière seuls, leurs parents étant morts ou ayant été séparés d’eux.

Survivre à l’horreur de la violence pour devenir le seul gagne-pain de sa famille est «quelque chose qu’aucun enfant au monde ne devrait subir

«[Ces mineurs] ont déjà perdu leur enfance, il est de notre responsabi­lité de nous assurer qu’ils ne perdent pas leur avenir Sakil Faizullah, porte-parole de l’UNICEF au Bangladesh

», déclare Sakil Faizullah, porte-parole de l’UNICEF au Bangladesh.

Des organisati­ons internatio­nales ont dressé des écoles et des zones destinées aux enfants pour leur accorder un petit répit dans l’océan de misère des camps. Dans ces lieux, garçons et filles peuvent dessiner, chanter ou encore jouer ensemble.

La soeur de Tahera arrive parfois à l’y traîner. La fillette y regarde longuement des livres illustrés, mais elle ne peut guère s’attarder : elle doit retourner veiller ses parents.

« J’adore les pages de bandes dessinées. Mais je n’ai pas l’occasion d’aller là-bas tous les jours », raconte-t-elle en préparant un plat sommaire pour la famille.

Travailleu­se humanitair­e, Baby Barua a été choquée en apprenant que Tahera nourrissai­t et prenait soin à elle seule de toute sa famille.

«Elle est juste une enfant. Elle ne devrait pas avoir à faire tout ça par elle-même, ça équivaut à du travail d’enfant», estime-t-elle.

Ces mineurs « ont déjà perdu leur enfance, il est de notre responsabi­lité de nous assurer qu’ils ne perdent pas leur avenir », renchérit M. Faizullah de l’UNICEF.

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DIBYANGSHU SARKAR AGENCE FRANCE-PRESSE Les enfants représente­nt plus de la moitié des récentes arrivées de Rohingyas au Bangladesh.

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