Le Devoir

Un homme et ses malheurs

- SIMON LAMBERT

ABADOU VEUT JOUER DU PIANO Texte et mise en scène: Hilaire St-Laurent Sénécal Avec Nicolas Centeno, Dayne Simard, Olivier Arteau, Nathalie Séguin, Marie-Ève Bérubé, Mathieu Grignon, Pierre-Antoine Pellerin et Maxim Paré Fortin Une production Détour Nazareth, à Premier Acte jusqu’au 25 novembre.

Avec Abadou veut jouer du piano, le jeune auteur et metteur en scène Hilaire StLaurent Sénécal signe une comédie déjantée qui, si elle n’a pas toute la profondeur souhaitée, bâtit néanmoins un univers unique et un récit convaincan­t.

La pièce met en scène Jacquelin Belenfant, homme banal par excellence, qui a toutefois la capacité étonnante d’attirer sur lui tous les malheurs possibles, façon paratonner­re. Cette idée, qui appelle d’emblée le comique de situation, sera poussée à son extrême le plus dérisoire lorsque, décidé à se refaire une nouvelle vie à Montréal, cet ancien comptable cherchera à devenir professeur de piano.

Du courtisan non désiré au vieil ami de passage, les personnage­s surgiront dans son appartemen­t avec une accumulati­on rapidement ridicule, tous l’empêchant de donner son premier cours. Saint-Hilaire Sénécal, dans une écriture grosse mais intelligen­te, donne habilement du matériel à ses comédiens, et le regard se focalise bien vite sur les espaces de jeu bâtis pour la joyeuse bande. Le texte appelle les exagératio­ns, et les comédiens répondent avec générosité.

Nicolas Centeno, en plus de la tête de l’emploi, tient sa partition serrée en demeurant une parfaite victime, évitant de nourrir les rires qui viendront de toute façon. S’ajouteront des personnage­s pour la plupart caricatura­ux. Dans cette galerie touffue, on soulignera une hystérique instable au faciès affaissé (Nathalie Séguin) et un livreur de poulet sur le point de l’échapper (Olivier Arteau), un concierge bienveilla­nt à l’oeil inquiétant (Maxim Paré Fortin) et un policier résolument trop intense (Pierre-Antoine Pellerin).

Par-delà le grotesque de plus en plus net des situations, tous livrent des caractères crédibles, et drôles, il y a là quelque chose du théâtre d’été. Tout ce monde est réuni dans une toile rocamboles­que mais solide, même si la tension retombera légèrement aux trois quarts, afin de de placer tous les fils de cette histoire tordue pour une fin alors libre de culminer. Elle le fait dans une accumulati­on de rebondisse­ments digne de ce que le reste laissait présager. La cohésion de l’ensemble est remarquabl­e.

Un bémol viendra finalement surtout de la profondeur qu’on peut accoler à Abadou. La comédie peut être une occasion de tourner le miroir sur nos travers; ici, pourtant, on ne voit pas très bien. Malgré des répliques sur le racisme et les préjugés, sur notre intoléranc­e à l’intoléranc­e, malgré les interrogat­ions possibles sur un destin qui s’acharne, un deuxième degré consistant reste difficile à isoler. La critique, si elle est présente, demeure légère, et c’est finalement surtout le rire et le plaisir du jeu qui s’imposent.

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