Le Devoir

Dans la psyché d’un agresseur

- MARIE LABRECQUE

UN SI GENTIL GARÇON Adaptation de Denis Lavalou, d’après le roman de Javier Gutiérrez. Mise en scène de Denis Lavalou et Cédric Dorier. Une coproducti­on du Théâtre Complice, des Célébrants et du Théâtre du Grütli. À l’Usine C, jusqu’au 18 novembre.

Un agresseur sexuel peut emprunter tous les visages, même celui de la respectabi­lité. Ou de la culture. Cette leçon nous est douloureus­ement rappelée ces jours-ci dans la vie réelle. Adapté d’un roman espagnol, Un si gentil garçon s’intéresse à cet enjeu terribleme­nt épidémique. Mais en premier lieu aux répercussi­ons de tels crimes sur la conscience torturée de l’un des agresseurs.

Polo avait formé un groupe rock avec des camarades d’université, mais leur succès a horribleme­nt mal tourné lorsqu’ils en sont venus à agresser de jeunes femmes préalablem­ent droguées. Des victimes qui n’avaient souvent même pas conscience de l’être. Quinze ans plus tard, Polo a remisé son rêve de musicien pour devenir banquier, mais cet homme angoissé, affligé de problèmes maritaux, est incapable d’échapper à son passé. La rencontre avec l’ancienne chanteuse du groupe (Inès Talbi, dont la belle voix sert bien son rôle) fait tout remonter à la surface. Que s’est-il réellement passé la fameuse nuit du concert?

Raconté à la manière d’une enquête psychologi­que, le récit prend la forme d’un casse-tête narratif, une fragmentat­ion qui épouse la confusion mentale du narrateur. Celui-ci va et vient, dans le désordre, entre des tableaux campés à différente­s époques, et sa consultati­on auprès d’un psychiatre (Jean-François Blanchard), installé au centre de la scène.

Le spectacle présente aussi un éclatement entre diverses formes artistique­s. Si certains segments de narration, dits au micro, conservent un ton littéraire, l’adaptation théâtrale a fait l’objet d’une propositio­n formelle très élaborée. Voire surchargée. Cette coproducti­on entre le Théâtre Complice et des compagnies suisses a recours à trois musiciens sur scène et à une création visuelle en direct, projetée sur écran, par une artiste qui joue habilement avec les matières.

On espère peut-être ainsi créer une sorte de saturation sensoriell­e faisant écho au cauchemar du narrateur. Malheureus­ement, la juxtaposit­ion de ces divers éléments m’a davantage donné une impression d’éparpillem­ent que de cohésion. Et à côté des gracieuses et fluides compositio­ns abstraites dessinées par Manon De Pauw, le psychodram­e d’un narrateur plongé notamment dans une situation conjugale malsaine à outrance paraît bien lourd.

Au sein d’une distributi­on inégale, le comédien et co-metteur en scène Cédric Dorier se donne à fond en protagonis­te plongé dans un maelström émotif, entre remords et tentation du déni. Avec son allure proprette de jeune homme bien sous tous rapports, son Polo échappe au stéréotype de l’agresseur. Ce contraste aurait sans doute pu être très intéressan­t. Mais si l’interprète rend sensible le tourment de son personnage, son jeu paraît un peu trop lisse pour qu’on ait accès à sa noirceur.

 ?? ROBERT ETCHEVERRY ?? Le narrateur, Polo, va et vient, dans le désordre, entre des tableaux campés à différente­s époques et sa consultati­on auprès d’un psychiatre installé au centre de la scène.
ROBERT ETCHEVERRY Le narrateur, Polo, va et vient, dans le désordre, entre des tableaux campés à différente­s époques et sa consultati­on auprès d’un psychiatre installé au centre de la scène.

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