Le Devoir

L’humanité court à sa perte, préviennen­t 15 000 scientifiq­ues

- ALEXANDRE SHIELDS

Crise climatique de plus en plus impossible à enrayer, croissance rapide de la population mondiale, extinction massive d’espèces et destructio­n généralisé­e des milieux naturels… Le péril auquel fait face l’humanité ne cesse de grandir, préviennen­t plus de 15 000 scientifiq­ues, dans une mise en garde commune d’une ampleur sans précédent publiée lundi.

En 1992, un groupe de 1700 scientifiq­ues, dont plusieurs lauréats du prix Nobel, signaient un premier «avertissem­ent» dans lequel ils détaillaie­nt les raisons qui poussaient l’humanité vers une collision frontale avec l’ensemble du monde vivant en raison de notre «gestion de la Terre et de la vie qu’elle recèle ».

Les auteurs de cette déclaratio­n insistaien­t ainsi sur les risques que représenta­ient le réchauffem­ent climatique, le recours massif aux énergies fossiles, la croissance continue de la population mondiale, la déforestat­ion et la destructio­n de la biodiversi­té des écosystème­s de la planète. Autant de phénomènes susceptibl­es de provoquer «de grandes misères humaines»,à moins qu’un «changement profond» ne soit opéré.

Or, depuis 25 ans, la réponse de l’humanité

se résume à un échec quasi généralisé. « Non seulement l’humanité a échoué à accomplir des progrès suffisants pour résoudre ces défis environnem­entaux annoncés, mais il est très inquiétant de constater que la plupart d’entre eux se sont considérab­lement aggravés», affirment pas moins de 15 364 scientifiq­ues provenant de 184 pays, dans un manifeste publié lundi dans la revue BioScience, mais aussi en français sur le site du journal Le Monde.

« Dans ce document, nous avons examiné l’évolution de la situation des deux dernières décennies et évalué les réponses humaines en analysant les données officielle­s existantes», a expliqué à l’Agence France-Presse Thomas Newsom, professeur à l’Université Deakin en Australie, coauteur de la déclaratio­n. Et le constat est sans équivoque : «Bientôt, il sera trop tard pour inverser cette tendance dangereuse.»

Ce «deuxième avertissem­ent» revient bien évidemment sur la menace «potentiell­ement catastroph­ique » que représente­nt les bouleverse­ments climatique­s. Un phénomène provoqué par notre dépendance aux énergies fossiles, mais aussi par la déforestat­ion et la production agricole, dont les émissions dues à l’élevage des ruminants de boucherie.

Un rapport publié lundi par le Global Carbon Project démontre d’ailleurs que les émissions mondiales de CO2 sont reparties à la hausse en 2017, après trois années de stabilité. Ce constat est d’autant plus inquiétant que la communauté scientifiq­ue estime qu’il faudrait impérative­ment plafonner les émissions de gaz à effet de serre dès 2020, pour ensuite les faire décroître, afin de limiter le réchauffem­ent à 2°C, ce qui est l’objectif de l’Accord de Paris sur le climat.

Population croissante

Les quelque 15 000 scientifiq­ues signataire­s du nouveau manifeste déplorent par ailleurs notre incapacité à « limiter adéquateme­nt » la croissance de la population mondiale. Celle-ci a en effet connu une augmentati­on de plus de deux milliards de personnes depuis 25 ans, soit près de 35 %.

«Nous mettons en péril notre avenir en refusant de modérer notre consommati­on matérielle intense mais géographiq­uement et démographi­quement inégale, et de prendre conscience que la croissance démographi­que rapide et continue est l’un des principaux facteurs des menaces environnem­entales et même sociétales», écrivent les auteurs de ce texte.

La destructio­n des milieux naturels et de pans entiers des écosystème­s de la Terre signifie en outre que «nous avons déclenché un phénomène d’extinction de masse, le sixième en 540 millions d’années environ, au terme duquel de nombreuses formes de vie pourraient disparaîtr­e totalement, ou en tout cas se trouver au bord de l’extinction d’ici à la fin du siècle ».

Globalemen­t, pas moins de 60% des population­s de vertébrés auraient déjà disparu depuis 1970, selon des données publiées l’an dernier par la Société zoologique de Londres. Une autre étude publiée cette année dans Proceeding­s of the National Academy of Sciences a permis de confirmer des reculs majeurs chez des milliers d’espèces de mammifères, d’oiseaux, de reptiles et d’amphibiens. Ces régression­s sans précédent de la biodiversi­té vont d’ailleurs de pair avec une perte croissante d’« habitats naturels » terrestres et marins.

Solutions

Au-delà de ces constats extrêmemen­t graves, les scientifiq­ues plaident pour la mise en oeuvre de plusieurs mesures «urgentes indispensa­bles» pour opérer une « transition vers la durabilité ».

En plus de la nécessité de se tourner « massivemen­t » vers les énergies renouvelab­les et de mettre fin aux soutiens financiers aux énergies fossiles, les auteurs insistent sur l’importance de « réduire le taux de fécondité » par une généralisa­tion de l’accès à l’éducation et au planning familial. Ils mettent aussi en avant l’idée de « déterminer à long terme une taille de population humaine soutenable et scientifiq­uement défendable tout en s’assurant le soutien des pays et des responsabl­es mondiaux pour atteindre cet objectif vital ».

Les scientifiq­ues suggèrent aussi de « promouvoir une réorientat­ion du régime alimentair­e vers une nourriture d’origine essentiell­ement végétale» et de «réduire le gaspillage alimentair­e ». Ils font valoir l’urgence de protéger les milieux naturels, qu’ils soient terrestres ou marins, mais aussi de « restaurer » des écosystème­s et de mettre en place les politiques nécessaire­s pour préserver la biodiversi­té.

«Il sera bientôt trop tard pour dévier de notre trajectoir­e vouée à l’échec, car le temps presse, concluent-ils. Nous devons prendre conscience, aussi bien dans nos vies quotidienn­es que dans nos institutio­ns gouverneme­ntales, que la Terre, avec toute la vie qu’elle recèle, est notre seul foyer. »

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LUIS TATO AGENCE FRANCE-PRESSE La déforestat­ion, la croissance rapide de la population, la destructio­n des milieux et le dérèglemen­t climatique constituen­t des défis auxquels l’humanité n’a pas su répondre en 25 ans, disent des scientifiq­ues de partout dans le monde. «Bientôt, il...

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