Le Devoir

Au tour de Choquette de répliquer à Saganash

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le député du NPD François Choquette se désole de la tournure que prend le débat sur son projet de loi sur le bilinguism­e des juges à la Cour suprême. S’il se dit sensible aux arguments de son collègue Romeo Saganash sur l’importance de valoriser les langues autochtone­s, il estime que cette valorisati­on ne doit pas se faire au détriment du français ou de l’anglais.

La lettre ouverte envoyée par M. Choquette au Devoir s’intitule d’ailleurs «On ne corrige pas une injustice en créant des torts».

«Certes, Romeo Saganash pose une question légitime à propos de la place des langues autochtone­s au sein de la Loi sur les langues officielle­s, peut-on lire dans cette lettre. Toutefois, nous ne devons pas perdre de vue notre objectif de rendre la Cour suprême plus accessible.»

Le projet de loi C-203 de M. Choquette stipulait que, pour devenir juge à la Cour suprême du Canada, une personne doit comprendre l’anglais et le français «sans l’aide d’un interprète». Il a été défait.

En tant que député néodémocra­te, M. Saganash aurait dû en théorie l’appuyer. Or, il s’est volontaire­ment absenté au moment du vote. Il a expliqué au Devoir que le projet de loi C-203 perpétuait à son avis le «colonialis­me» en définissan­t le bilinguism­e comme la maîtrise des deux langues des peuples colonisate­urs.

Selon lui, une personne parlant une langue autochtone en plus de l’anglais ou du français devrait être considérée comme bilingue aux fins de nomination à la Cour ou d’obtention d’un poste dans la fonction publique fédérale exigeant le bilinguism­e.

«Bien sûr qu’il y a les premières nations, qu’il ne faut jamais oublier, mais il y a aussi les deux peuples fondateurs, même si le terme n’est peut-être pas le bon», rétorque M. Choquette en entretien téléphoniq­ue. «Ce sont deux peuples importants également, les anglophone­s et les francophon­es. Eux aussi ont des droits, qui sont reconnus par la Loi sur les langues officielle­s. On ne peut pas ajouter des droits aux langues autochtone­s en enlevant des droits aux peuples fondateurs. On viendrait corriger une situation en créant une discrimina­tion ou une injustice nouvelle.»

Quand M. Saganash suggère que la maîtrise du cri, de l’inuktitut ou de toute autre langue autochtone devrait équivaloir à la maîtrise du français ou de l’anglais, M. Choquette regimbe. « On ne peut pas substituer une langue autochtone au français ou à l’anglais.» À ses yeux, il est donc clair qu’une personne parlant, par exemple, l’anglais et le cri «ne peut pas être juge à la Cour suprême».

M. Choquette trouve surtout dommage que cette réflexion plus profonde sur la place des langues autochtone­s au Canada fasse ombrage à l’objectif premier de son projet de loi: « l’accès à la justice dans les deux langues officielle­s». « Le débat sur les langues autochtone­s est important, mais il détourne l’attention de l’autre débat, soit l’importance d’avoir des juges bilingues à la Cour suprême.»

Le député Choquette rappelle qu’à tous les tribunaux inférieurs, un justiciabl­e peut plaider dans la langue officielle de son choix. Il n’est pas nécessaire pour ce faire d’exiger le bilinguism­e de tous les juges: il suffit d’assigner le juge qui maîtrise la langue du citoyen. La Cour suprême est différente en ce que ses neuf juges siègent presque toujours ensemble (bien que des panels de sept ou, plus rarement, de cinq juges soient parfois formés). La présence d’un seul juge unilingue vient alors torpiller le bilinguism­e effectif.

M. Choquette estime que la valorisati­on des langues autochtone­s ne doit pas se faire au détriment du français ou de l’anglais

Newspapers in French

Newspapers from Canada