Le Devoir

Au diable l’honneur !

- MICHEL DAVID mdavid@ledevoir.com

Àla notable exception de Pierre Moreau, les membres de l’Assemblée nationale se sont ralliés en bloc derrière leur président, Jacques Chagnon, qui en a surpris plus d’un par sa déterminat­ion à défendre les droits et privilèges des parlementa­ires dans l’affaire Guy Ouellette.

Ce sont les tribunaux qui devront vraisembla­blement décider si le contenu du téléphone cellulaire de M. Ouellette peut être associé à des documents auxquels l’UPAC n’aurait pas eu accès s’ils s’étaient trouvés dans son bureau.

Il est sans doute essentiel que les élus puissent s’acquitter de leur tâche en toute sérénité, mais il est tout aussi impératif que l’immunité dont ils jouissent s’accompagne d’un sens des responsabi­lités qui semble parfois difficile à concilier avec la partisaner­ie qui teinte les débats.

Quand Yves Michaud s’est adressé à la Cour supérieure, puis à la Cour d’appel pour obtenir réparation de la motion de blâme dont il avait été l’objet le 14 décembre 2000, il s’est fait répondre qu’en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, le judiciaire ne pouvait pas intervenir. La Cour suprême n’avait même pas voulu entendre sa cause.

Cela ne signifiait pas que la requête de M. Michaud était sans fondement. Dans ses commentair­es, le juge Jean-Louis Baudouin, de la Cour d’appel, avait cité l’adage latin Summum jus, summa injuria. Le comble du droit peut être le comble de l’injustice.

Une nouvelle pétition en faveur de M. Michaud a été mise en ligne sur le site de l’Assemblée nationale pour faire en sorte que son cas soit examiné par une commission parlementa­ire. À 87 ans, les chances que justice lui soit rendue avant sa mort s’amenuisent rapidement. Par une sorte de lâcheté collective, on semble attendre que le vieil enquiquine­ur emporte son honneur flétri dans la tombe.

Alors que le débat sur l’identité fait pleuvoir les accusation­s d’intoléranc­e et de racisme, l’affaire Michaud demeure pourtant d’une grande actualité et démontre à quel point les risques de dérapage sont élevés. On peut même penser que le climat actuel constitue un obstacle à sa réhabilita­tion

Le jour où le député libéral de D’Arcy-McGee s’est levé à l’Assemblée nationale pour réclamer qu’elle dénonce «sans nuance» les «propos

inacceptab­les » envers la communauté juive, qu’il avait présumémen­t tenus lors de son témoignage aux États généraux sur la langue, aucun des députés présents, pas même M. Bergman, ne savait ce qu’il avait dit exactement. La condamnati­on a pourtant été unanime.

Quand on a finalement connu les paroles exactes prononcées, c’est l’ancien chef du Parti Égalité, Robert Libman, devenu entre-temps président de la section québécoise de B’nai Brith, qui a souligné que les propos de M. Michaud avaient été «incroyable­ment déformés» pour mieux l’accabler. En réalité, citant Lionel Groulx, il avait plutôt donné le peuple juif en exemple.

Il a pourtant fallu des années avant que ses accusateur­s commencent à faire amende honorable.

Dans leurs commentair­es, les députés péquistes avaient été les plus virulents. Trentecinq ans après avoir élu une première fois comme député libéral de Gouin, M. Michaud avait décidé de faire un retour et il visait l’investitur­e péquiste dans Mercier, avec l’intention bien arrêtée d’amener le gouverneme­nt Bouchard à démontrer plus de vigueur dans la défense du français. Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. Quoi de mieux pour écarter ce trublion que de l’accuser d’antisémiti­sme ?

En décembre 2010, Amir Khadir avait présenté une motion par laquelle l’Assemblée nationale aurait reconnu son erreur. Les libéraux étaient prêts à en débattre, mais pas pour s’excuser. Jean-Marc Fournier, alors ministre de la Justice, comptait plutôt en profiter pour dénoncer «les vieux démons du nationalis­me ethnique », qui, selon lui, hantaient toujours le PQ. Le PQ s’était prudemment opposé à la présentati­on de la motion.

Les amis de M. Michaud avaient espéré que Pierre Karl Péladeau reprendrai­t la cause à son compte, mais le nouveau chef du PQ n’avait pas davantage osé réclamer que l’Assemblée présente des excuses.

Il y a une dizaine d’années, M. Lisée avait écrit que les propos de M. Michaud étaient

«certes condamnabl­es, mais non pendables». Serait-il disposé à laisser une commission parlementa­ire ressuscite­r l’affaire? Il y a fort à parier que M. Fournier est toujours dans le même état d’esprit qu’en 2010. À dix mois de l’élection générale, serait-il bien avisé de le laisser réveiller les «vieux démons»?

Une soixantain­e de députés péquistes qui avaient voté pour la motion de blâme en décembre 2000 ont présenté des excuses depuis. Pas François Legault. Il est toutefois douteux qu’il soit disposé à discuter d’une affaire qui est antérieure à la création de la CAQ. Que les « vieux

partis » se débrouille­nt avec leurs problèmes! Et au diable l’honneur, aussi bien celui de M. Michaud que celui de l’Assemblée nationale !

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