Le Devoir

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L’austérité libérale n’a pas vraiment changé le portrait.

- ÉRIC DESROSIERS

Le Québec est le champion en matière de lutte contre la pauvreté au Canada, concluent des experts de McGill.

Le Canada a été le théâtre de deux phénomènes diamétrale­ment opposés depuis au moins une vingtaine d’années. D’un côté, différente­s mesures favorisant la pauvreté ont généraleme­nt suivi une trajectoir­e à la hausse en Ontario, en Colombie-Britanniqu­e et en Alberta, sous le coup notamment de politiques valorisant la logique du marché et le resserreme­nt des dépenses publiques. De l’autre côté, la pauvreté a eu tendance, au contraire, à reculer au Québec, en raison principale­ment de politiques sociales plus généreuses à l’égard des familles avec enfants et de mesures comme la mise en place d’un réseau de garderies subvention­nées, encouragea­nt l’accès au marché du travail, rapporte une équipe de cinq experts pilotée par le sociologue de l’Université McGill Axel Van den Berg dans un ouvrage lancé lundi et intitulé: Combating Poverty. Quebec’s Pursuit of a Distinctiv­e Welfare State.

L’écart grandissan­t s’observe pour toutes les mesures de pauvreté, y compris sous sa forme extrême. Le Québec réussit particuliè­rement bien pour les familles avec enfants dont les deux parents travaillen­t, avec seulement 2% sous la mesure de faible revenu, contre 5 % en Ontario et plus de 12% en Alberta. «Le Québec est aussi bon, en ce domaine, que les meilleurs pays d’Europe du Nord », a expliqué en entretien téléphoniq­ue au Devoir Axel Van den Berg, qui fait aussi la comparaiso­n dans son livre avec les ÉtatsUnis, la France, les Pays-Bas et la Finlande. «Il fait bien aussi pour les familles monoparent­ales [13 %], mais son avantage est moins spectacula­ire. » Il arrive par contre en queue de peloton en ce qui concerne les adultes seuls et sans enfants.

Le Québec est aussi l’endroit au Canada où une famille avec des enfants qui se retrouve dans la pauvreté a le plus de chance de s’en sortir au fil des ans.

Plus généreux, même après l’austérité

Cette belle performanc­e du Québec s’explique sans doute par un niveau de dépenses sociales beaucoup plus important que dans les autres grandes provinces canadienne­s. Déjà plus élevées que les autres dans les années 1990, ces dépenses ont continué d’augmenter durant les vingt années qui ont suivi en proportion de la taille de son économie, alors qu’elles faisaient, ailleurs, au mieux du surplace. Les dépenses publiques dans les programmes d’aide au revenu et de soutien à l’accès au marché du travail se sont élevées, par exemple, en 2011-2012, à l’équivalent de 6% du produit intérieur brut au Québec, contre environ 4% en Ontario, un peu moins en Colombie-Britanniqu­e et seulement 2% en Alberta.

Encore une fois, cette plus grande «générosité» des politiques québécoise­s s’observe particuliè­rement pour les familles avec enfants, rappelle Axel Van den Berg. «On semble avoir décidé un jour de viser une sorte de modèle social-démocrate inspiré des pays nordiques.» Loin d’être passive, cette aide de l’État part du principe que le travail rémunéré est le moyen le plus efficace de sortir de la pauvreté et poursuit explicitem­ent l’objectif d’encourager le retour ou

le maintien dans le marché du travail.

Basée sur plusieurs données jusque-là inédites, la recherche de l’équipe de l’Université McGill s’arrête au début des années 2010. Sachant que la question allait tout de suite surgir, les chercheurs ont mis à jour quelques-uns de leurs chiffres pour voir si les politiques d’austérité du gouverneme­nt québécois des dernières années étaient venues changer le portrait des choses. « Le Québec qu’on décrit dans le livre tient le coup, rapporte Axel Van den Berg. Les compressio­ns du gouverneme­nt Couillard n’ont presque pas affecté les programmes et leurs résultats. C’est assez logique, quand on y pense. Il n’y avait pas de grandes économies à y faire, contrairem­ent à de grands postes de dépenses, comme la santé et l’éducation. »

Occupé à préparer le lancement de son livre, le sociologue n’avait pas encore eu le temps de jeter un coup d’oeil au rapport d’experts commandé par Québec sur l’idée d’un revenu minimum garanti et également dévoilé lundi. «Nos propres recherches montrent, en tout cas, qu’il peut y avoir d’autres moyens efficaces de réduire la pauvreté.»

Certains feront valoir que le niveau d’endettemen­t plus élevé du gouverneme­nt du Québec montre que son modèle coûte cher et n’est peut-être pas viable à long terme, notent les auteurs du livre. D’un autre côté, les programmes de lutte contre la pauvreté ne coûtent pas si cher, et l’économiste québécois Pierre Fortin a montré que le réseau de garderies subvention­nées pouvait générer plus de revenus que de dépenses.

Familiaris­és à l’originalit­é du cas québécois, les experts du reste du Canada seront curieux de pouvoir se pencher sur ces nouvelles données, mais ne devraient pas être trop étonnés par les grandes conclusion­s auxquelles elles permettent d’arriver, croit Axel Van den Berg. Mais il est fort probable qu’il en soit autrement des politicien­s et du public en général, où le Québec est rarement cité en exemple et où la tendance générale reste fortement marquée par le modèle « néolibéral ».

Le cas québécois est quand même souvent évoqué, à Ottawa, comme dans d’autres provinces, notamment en ce qui a trait à ses garderies.

« Je demeure plutôt optimiste, dit Axel Van den Berg. C’est de cette façon que se sont bâtis nos grands programmes sociaux au Canada, comme le régime des pensions et l’assurance maladie. Une province innove dans un domaine et sert d’exemple à tous les autres. »

COMBATING POVERTY QUEBEC PURSUIT OF A DISTINCTIV­E WELFARE STATE Axel Van den Berg, Charles Plante, Hicham Raïq, Christine Proulx et Sam Faustmann University of Toronto Press Toronto, 2017, 213 pages.

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