Le Devoir

Impuissanc­e à Québec

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Le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, a rendu publique, vendredi, une brique intitulée Paradis fiscaux : plan d’action pour assurer l’équité fiscale. D’une façon générale, le document est un aveu d’impuissanc­e. Il s’évertue à démontrer que le Québec ne peut pas faire cavalier seul pour contrer le phénomène, surtout quand il s’agit de multinatio­nales. C’est avant tout au Canada d’agir, de concert avec l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE) et le G20, soutiennen­t les bonzes du ministère.

Le Plan d’action donne suite au rapport, déposé en mars dernier, de la Commission des finances publiques (CFP) qui s’est penchée sur le phénomène des paradis fiscaux. La CFP recommanda­it d’imposer une taxe sur les profits détournés (Google Tax), de percevoir les taxes de vente sur les transactio­ns en ligne à même les cartes de crédit ou encore de réclamer l’impôt sur les dividendes reçus au Québec quand il est versé dans un État où la ponction fiscale est insignifia­nte.

Lors d’une interpella­tion à l’Assemblée nationale vendredi, Carlos Leitão a déclaré: «Tout stratagème ou mécanisme, légal ou non, visant à éviter à des contribuab­les […] de payer [leur] juste part de taxes et d’impôts est inacceptab­le.» Voilà pour les grands principes. Mais s’attaquer à ce problème mondial n’est pas simple, a plaidé le ministre, avançant que seuls la collaborat­ion entre les pays et le partage d’informatio­n permettent de lutter efficaceme­nt contre l’évasion fiscale.

Ce sont les membres de la CFP qui doivent être déçus : la plupart de leurs recommanda­tions phares sont jugées inapplicab­les, comme l’est le projet de loi 997 du député de Québec solidaire Amir Khadir, qui s’inspire des conclusion­s de la commission.

Dans son document, le ministère établit que les paradis fiscaux coûtent cher à l’État, soit 700 millions par an. La richesse financière que les Québécois nantis ont placée dans les paradis fiscaux serait de l’ordre de 13 milliards et les pertes fiscales associées à ces stratagème­s s’élèveraien­t à 257 millions annuelleme­nt. Les pertes attribuabl­es aux profits détournés des multinatio­nales sont estimées à 159 millions par an tandis que la non-perception de la taxe de vente du Québec (TVQ) sur les achats de biens et services en ligne coûteraien­t 257 millions par an, une donnée en constante progressio­n.

Or, le Québec perdrait au change en s’en prenant aux sociétés qui détiennent des filiales dans des paradis fiscaux, avertit le ministère qui a dénombré 642 de ces sociétés actives au Québec. Elles contribuen­t pour quelque 35 milliards au produit intérieur brut (PIB) québécois, soit 9% du total, et elles soutiennen­t 310 000 emplois, dont 117 000 emplois directs. Imposer une taxe sur les profits détournés et sortir du rang en ne reconnaiss­ant plus les convention­s fiscales conclues par le Canada avec les paradis fiscaux feraient fuir nombre de ces entreprise­s qui iraient simplement s’établir dans d’autres provinces, prévient-on. À terme, 70 000 emplois disparaîtr­aient et, pour récupérer 159 millions, l’État subirait une chute de ses recettes de 500 millions.

Pour ce qui est des multinatio­nales, Carlos Leitão s’en remet donc à Ottawa qui, lui, s’en remet à l’OCDE et au G20. Le Canada a commencé à appliquer le plan d’action de l’OCDE « pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices», appelé BEPS. Québec souhaite obtenir du gouverneme­nt fédéral les informatio­ns provenant du BEPS et des convention­s fiscales.

Carlos Leitão a annoncé la création d’un groupe «d’interventi­on spécialisé en planificat­ions fiscales internatio­nales» et l’ajout de ressources additionne­lles à Revenu Québec. Une vingtaine d’employés de Revenu Québec se feront accréditer par l’Agence du revenu du Canada et travailler­ont dans les locaux de celle-ci afin d’avoir accès aux dossiers fédéraux, une première. Le ministre entend renforcer la lutte contre les planificat­ions fiscales dites «agressives», notamment en privant de contrats publics toute entreprise, y compris les firmes de comptables, qui participe à des stratagème­s d’évitement fiscal abusif.

Jusqu’ici, le Canada s’est montré d’une rare complaisan­ce à l’égard du recours aux paradis fiscaux, dont les grandes banques canadienne­s font leur pain et leur beurre. Mais c’est en échange d’informatio­ns sur les comptes détenus par des Canadiens. Il faut maintenant que ces informatio­ns servent, autrement que par le truchement de fuites embarrassa­ntes. Certes, la nécessaire collaborat­ion internatio­nale prend du temps avant de donner des résultats. Mais le Canada, qui possède, après tout, une connaissan­ce pointue en matière de paradis fiscaux, doit cesser de fermer les yeux sur l’évasion fiscale et soutenir le Québec dans son combat.

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ROBERT DUTRISAC

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