Le Devoir

Arvida L’ambition d’être inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO

- ISABELLE PORTER à Arvida

Après le Vieux-Québec, Percé et le Mont-Royal, la ville industriel­le d’Arvida complétera bientôt la prestigieu­se liste des douze sites patrimonia­ux reconnus du Québec. À la veille d’une consultati­on clé sur le projet, zoom sur un site patrimonia­l aussi méconnu que particulie­r.

«Quand on va être prêts, ça va être un point d’intérêt extrêmemen­t important au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Ça va devenir un attrait touristiqu­e», lance le conseiller municipal Carl Dufour.

Voilà près de dix ans que monsieur Dufour milite pour la reconnaiss­ance du vieux site de l’Aluminium Company of Canada (Alcoa). Il n’a jamais été aussi près du but.

Le 12 juillet dernier, le ministre Luc Fortin mandatait le Conseil du patrimoine culturel du Québec (CPCQ) pour qu’il tienne une consultati­on afin d’en faire un site patrimonia­l officiel (l’équivalent des anciens arrondisse­ments historique­s).

«Le site de l’ancienne ville d’Arvida constitue un repère de l’identité québécoise qu’il importe de protéger et de préserver», avait-il alors déclaré.

Après avoir sondé les gens sur le Web, le CPCQ sera à Arvida jeudi pour présenter son projet de protection du site et recevoir les commentair­es des résidants. Les frontières prévues sont-elles adéquates? Que pensent les propriétai­res des responsabi­lités qui viennent avec une telle reconnaiss­ance? Et ce n’est qu’un début. Cette étape franchie, on souhaite faire reconnaîtr­e Artvida

par nul autre que l’UNESCO.

Sur place, les petites maisons blanches se succèdent dans des rues paisibles avec, au loin, les grandes cheminées de l’usine Rio Tinto. À première vue, le site d’Arvida a surtout l’air d’une jolie banlieue proprette et bien entretenue. Pourquoi en fait-on tout un plat ?

D’abord, pour l’histoire de sa constructi­on. En 1926, l’entreprise y érige pas moins de 270 maisons en 135 jours. Par souci d’efficacité, les trains déchargent les matériaux

le long des terrains, là où seront aménagées les rues.

Mais encore! L’entreprise fait construire plus de 100 modèles distincts pour les 2000 résidences que doit compter la ville. Du jamais vu. « Arvida, c’est un peu à l’histoire de l’urbanisme ce que la Joconde est à l’histoire de l’art», avance la titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l’UQAM, Lucie K. Morisset.

Les concepteur­s, rappelle-telle, ont utilisé «tous les moyens de l’urbanisme» afin de concevoir une ville industriel­le unique axée sur l’égalité et la qualité de vie. Une démarche d’avantgarde pour les années 1920… Jusque-là, les villes de compagnies avaient plutôt eu tendance à aménager les logements pour « contrôler les ouvriers ».

Or ceux d’Arvida allaient être propriétai­res. « On préfigure la société qui va se développer après 1945, poursuit Mme Morisset. C’est à la fois un projet urbain, social et industriel pour développer une société égalitaire fondée sur la propriété de la maison. »

Les concepteur­s créent des modèles inspirés de la maison canadienne et permutent certains motifs architectu­raux pour qu’on puisse les distinguer. «Non seulement chaque Arvidien pouvait devenir propriétai­re, mais reconnaîtr­e sa maison parmi les autres.» Décidément, rien ne semble laissé au hasard dans cette ville dont le nom vient des premières lettres du prénom et du nom du fondateur de la compagnie, Arthur Vining Davis (Ar-Vi-Da).

La compagnie est alors un géant mondial qui, en 1928, contrôle pas moins de 90% de la production d’aluminium dans le monde. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle fournit les deux tiers de l’aluminium utilisé dans la conception de l’aviation des Alliés.

Récente mise en valeur

Encore aujourd’hui, la population arvidienne a un fort sentiment d’appartenan­ce et de fierté. Lorsque Carl Dufour a commencé à faire du porte-àporte pour tester l’idée d’en faire un site protégé, les réactions étaient étonnantes. « J’expliquais aux gens que je voulais baser ma campagne sur la protection d’Arvida et les gens me disaient: “Mais on est déjà à l’UNESCO!”»

Sur place, on parle encore avec colère de la fusion forcée. Non pas celle de la ville de Saguenay en 2001, mais celle de 1975 avec Kénogami! Après cela, explique Mme Morisset, on a littéralem­ent voulu « effacer » le nom d’Arvida.

Dès lors, il a fallu attendre la fin des années 1990 avant que la ville commence à s’intéresser aux particular­ités du site, explique Roger Lavoie, responsabl­e du patrimoine architectu­ral à la ville de Saguenay.

En 2010, elle créait un ambitieux programme de subvention encouragea­nt les résidants à rénover les maisons à la manière de l’époque. Les toits en aluminium sont financés à 75%; les revêtement­s extérieurs en bois à 100 %. Fini le vinyle !

On a aussi aménagé des enseignes rétro aux entrées de la ville. Des répliques identiques à ce qu’on y voyait durant les années 1950. Dans la zone protégée, les noms des rues sont sur des enseignes à l’ancienne.

Mais il reste beaucoup de travail à faire pour accueillir les touristes. Pour l’heure, Arvida n’a aucun musée ou centre d’interpréta­tion permettant d’apprécier son histoire. « On n’est pas prêts », convient Carl Dufour, qui rêve du jour où Arvida sera à la région ce que le Vieux-Québec est à la capitale.

D’autant plus que le Saguenay–Lac-Saint-Jean n’a pas de site historique en tant que tel pour les croisiéris­tes qui débarquent pourtant en grand nombre à La Baie. Lucie K. Morisset ajoute qu’il faudra développer des outils interactif­s et «qu’on ne fait plus du patrimoine comme dans les années 1960 ».

À ceux qui s’étonnent qu’on veuille porter la cause d’Arvida jusqu’à l’UNESCO, elle fait remarquer que plusieurs « villes de compagnies » y figurent déjà, comme Rjukan-Notodden en Norvège ou encore le Bassin minier du Nord-Pasde-Calais, en France.

«C’est ce que le XXe siècle a légué. Il y a un temps, on regardait Brasília et on trouvait ça horrible. De la même façon qu’après la constructi­on du Château Frontenac, en 1892, on en a parlé pendant des années comme de la “verrue du Vieux-Québec”. »

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR
 ?? GRACIEUSET­É LUCIE K. MORISSET ?? Photograph­ie réalisée en 1933 donnant vue sur la rue Oersted, avec en arrière-plan l’aluminerie
GRACIEUSET­É LUCIE K. MORISSET Photograph­ie réalisée en 1933 donnant vue sur la rue Oersted, avec en arrière-plan l’aluminerie
 ?? RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR ?? En 2010, un ambitieux programme a été lancé afin d’encourager les propriétai­res à rénover leur maison avec les matériaux de l’époque.
RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR En 2010, un ambitieux programme a été lancé afin d’encourager les propriétai­res à rénover leur maison avec les matériaux de l’époque.
 ?? GRACIEUSET­É LUCIE K. MORISSET ?? En 1926, pas moins de 270 maisons ont été construite­s en 135 jours, le train laissant les matériaux en bordure des terrains.
GRACIEUSET­É LUCIE K. MORISSET En 1926, pas moins de 270 maisons ont été construite­s en 135 jours, le train laissant les matériaux en bordure des terrains.

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