Le Devoir

La Témoin de Jéhovah avait le droit de refuser la transfusio­n sanguine, selon un coroner

- MAGDALINE BOUTROS

Le droit à la vie devrait-il primer la liberté de religion, tous deux protégés par la Charte canadienne des droits et libertés?

La question brûle bien des lèvres depuis que le coroner en chef adjoint du Québec, Luc Malouin, a déposé, mardi, son rapport sur le décès d’Éloïse Dupuis, une Témoin de Jéhovah de 26 ans qui a perdu la vie à l’Hôtel-Dieu de Lévis le 12 octobre 2016 après avoir refusé à plusieurs reprises de recevoir une transfusio­n sanguine.

Elle venait tout juste de donner naissance à son premier enfant, qui a eu la vie sauve.

Dans son rapport, M. Malouin tranche que les médecins ne peuvent en aucun cas forcer un Témoin de Jéhovah à recevoir une transfusio­n sanguine, même si un tel refus peut mener à sa mort.

Le coroner fait valoir qu’Éloïse Dupuis a exercé son droit de refuser un traitement médical, que son choix a été fait de manière libre et éclairée et que les médecins ne pouvaient d’aucune façon agir à l’encontre de sa volonté.

M. Malouin fonde son argumentai­re sur un article du Code civil qui reconnaît le droit pour une personne majeure, saine d’esprit et consciente de refuser un traitement médical et sur les dispositio­ns de la Charte des droits et libertés de la personne qui protègent la liberté de conscience et de religion.

Le coroner précise qu’il n’y avait donc aucun recours juridique possible.

Les droits de l’enfant

Cette affirmatio­n a fait sursauter l’avocat constituti­onnaliste Guy Bertrand, qui se dit profondéme­nt choqué que les autorités médicales ne se soient pas précipitée­s devant les tribunaux.

«Mourir chez soi parce qu’on ne veut pas avoir de transfusio­n,

La tante d’Éloïse Dupuis critique les conclusion­s du coroner et se questionne sur la primauté accordée à la liberté de religion

personne n’aurait pu s’opposer à ça, c’est son choix», mentionne-t-il.

«Mais quand tu vas dans un endroit public où les autorités médicales ont la responsabi­lité profession­nelle et légale de tout faire pour te garder en vie, à ce moment-là, c’est la cour qui aurait dû trancher si la liberté de croyance devait céder le pas au droit à la vie.»

Les droits de l’enfant auraient également dû être défendus devant la cour, fulmine Guy Bertrand. «L’enfant a le droit à la sécurité, ce qui comprend la sécurité de sa mère, la sécurité d’un système de vie dans lequel sa mère joue un rôle important », explique-t-il.

La tante d’Éloïse Dupuis, Manon Boyer, critique avec la même virulence les conclusion­s du coroner et se questionne également sur la primauté accordée à la liberté de religion.

«Son enfant aussi avait des droits, il avait le droit à la vie, cet enfant-là, il avait le droit d’avoir une mère qui prend soin de lui », lance-t-elle, s’indignant que le coroner soit resté muet sur cet enjeu.

«Au prix de la liberté de religion, on a sacrifié une vie, et on a brisé une autre vie, parce que cet enfant-là n’aura pas connu sa mère», poursuit Mme Boyer.

En entrevue à La Presse canadienne, Luc Malouin assure pourtant qu’Éloïse Dupuis n’a pas été soumise à l’influence de la communauté religieuse et qu’elle comprenait qu’elle risquait de mourir.

Le coroner rapporte que, lorsque les médecins se sont retrouvés seuls avec elle en salle d’opération, ils lui ont offert de réaliser une transfusio­n sanguine en précisant qu’ils garderaien­t la procédure secrète et que sa famille ne serait pas mise au courant, que ce serait simplement consigné dans son dossier médical.

Dans une déclaratio­n transmise par courriel à La Presse canadienne, les Témoins de Jéhovah se sont dits « reconnaiss­ants » des conclusion­s du rapport.

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