Le gouvernement Trudeau publie son autoévaluation à la mi-mandat
L’exercice n’est pas sérieux, selon les partis d’opposition
Après deux ans au pouvoir, les libéraux de Justin Trudeau ont-ils tenu leurs promesses? S’il faut en croire le gouvernement fédéral, ils en ont tenu exactement 66, plus une autre légèrement modifiée (l’accueil des réfugiés syriens avec un léger délai), et sont en voie d’en réaliser 218 autres. Treize leur posent des défis imprévus et trois ont été carrément abandonnées. Les partis d’opposition ne partagent pas ce point de vue plutôt positif.
L’outil créé par le Bureau du conseil privé (canada.ca/résultats) propose un suivi non pas des promesses faites par les libéraux en campagne électorale, mais des directives données par M. Trudeau à chacun de ses ministres dans leur lettre de mandat respective. Au total, l’appareil gouvernemental a classifié 322 des 364 directives recensées, les 42 restantes étant trop récentes pour l’être.
La classification des engagements résulte d’un « consensus » entre l’appareil gouvernemental et ses maîtres politiques, a expliqué lors d’une séance d’information un haut fonctionnaire qui ne peut être identifié. Il y a parfois eu «débat» entre fonctionnaires et politiciens, a-t-il reconnu.
On apprend donc qu’outre la réforme électorale, les libéraux ont mis définitivement une croix sur deux autres promesses. Il n’est plus question de donner un congé de cotisation à l’assurance-emploi de 12 mois aux employeurs embauchant des jeunes dans des postes permanents. «Il a été déterminé que ce n’était pas la façon la plus efficace ou efficiente de dépenser des ressources publiques pour créer des emplois pour les jeunes», est-il écrit. Plus question non plus d’exempter de TPS les nouvelles constructions de logements sociaux.
La classification de certaines promesses comme étant « complétées » pourrait faire débat. C’est le cas notamment de celle de ne plus déposer de projets de loi omnibus. Les libéraux ont bel et bien octroyé au président de la Chambre des communes le pouvoir de scinder les projets de loi contenant des éléments sans rapport avec son thème principal… mais ils se sont fait taper sur les doigts la semaine dernière par le président pour avoir déposé un tel projet de loi budgétaire.
L’intervention prouve-t-elle que la promesse est respectée, ou au contraire bafouée ? « Ça dépend si on veut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide, concède le député néodémocrate Alexandre Boulerice. Parce que c’est effectivement une bonne chose d’avoir donné le pouvoir au président. Mais si on avait réellement réalisé la promesse, on n’aurait juste pas déposé un projet de loi qui embrassait une vingtaine de lois existantes. »
Il est plus incisif lorsqu’il s’agit du retour à l’équilibre budgétaire promis pour 2019-2020, que l’outil classe comme une promesse «en cours, avec défi ». « C’est complaisant. On devrait dire qu’on la rate, celle-là.» Le haut fonctionnaire a justifié cette classification par le fait que l’économie pourrait s’embellir d’ici là. La dernière mise à jour économique prévoit un déficit de 17,3 milliards en 2019-2020.
Parmi les 218 engagements considérés comme «en cours», on retrouve la révocation des éléments les plus problématiques de la loi antiterroriste C-51. Un projet de loi a bel et bien été déposé, mais il ne retire pas au Service canadien du renseignement de sécurité son controversé pouvoir de perturbation.
On considère aussi comme étant «en cours» la promesse d’éliminer les subventions à l’industrie des combustibles fossiles même si Ottawa s’est seulement engagé à éliminer d’ici 2024 la déduction pour amortissement accéléré relative à la liquéfaction du gaz naturel. Le ministre des Ressources naturelles, Jim Carr, a reconnu en 2016 avoir remis à plus tard cette promesse vu le piteux état de l’industrie pétrolière. «Ça devrait être dans la catégorie “écartée”», estime M. Boulerice.
De manière générale, M. Boulerice estime «risible» que le gouvernement fasse son autoévaluation. «Ce n’est pas objectif.» Le sentiment est partagé par le conservateur Alain Rayès, qui parle d’« autocongratulation ». Il estime qu’il vaudrait mieux laisser à des groupes indépendants cette tâche.